Le présent billet est l’occasion d’approfondir une vision de l’être humain sous-jacente à la théorie de l’autodétermination, au concept de résilience et au modèle de l’autoconcordance.
Jacques Limoges dit un jour qu’il m’accompagnait sur mon chemin que la personnalité pouvait se changer. Sur le moment, je restais interloqué tant cette phrase me saisit. J’entendais cette « évidence » pour la première fois. Cette idée fit écho dans ma conscience. Cette affirmation me donnait une autorisation, celle de changer une partie de ma personnalité, de changer aux niveaux personnel et professionnel en tant qu’intervenant en orientation et en développement de carrière. Ensuite, elle me donnait envie de savoir comment (et comme le dit un proverbe anglais : « quand il y a une envie il y a un chemin »). Enfin cette autorisation me permit d’introduire dans mes pratiques la croyance en la possibilité, pour tout aidant qui en aurait le désir et pour tout aidé qui le souhaiterait, de changer certains aspects de sa personnalité. Ce « passage par la personnalité » peut contribuer à éclairer les choix de carrière et favoriser un développement harmonieux.
La notion d’intentionnalité semble ouvrir une voie de changement au sein de la personnalité, du moins de certains aspects déplaisants. « L’intentionnalité est cette prédétermination d’un but qui préside à l’organisation de l’acte ou des actes permettant de l’atteindre » (Limoges, 2018, p. 41). L’intentionnalité est selon McAdams (1996) l’un des trois aspects majeurs de la personnalité avec les traits de personnalité et le moi narratif (cité par Sheldon, 2014). En somme ici, quel aspect de notre personnalité pourrions-nous et voudrions-nous modifier?
Quant au processus organismique de valorisation décrit par Rogers (1964), il est défini comme un élan naturel de l’être humain à déterminer et à faire de façon bienveillante ce qui est bon. Il s’agit donc d’une autre forme de prédétermination d’un but à priori fondamentalement positif. La reconnaissance de ce processus présent dans notre organisme fait de l’être humain une personne perçue comme naturellement bienveillante et comme fonctionnant potentiellement de façon optimale (Sheldon, 2003, Brown et Ryan, 2003) selon les conditions du milieu. Les changements dans la personnalité peuvent s’appuyer sur un principe d’éducabilité cognitive, émotionnelle, comportementale et sur le processus organismique de valorisation ainsi que sur une ou plusieurs dimensions de l’intentionnalité (tableau ci-après). La personnalité est en partie soumise aux influences de l’environnement et de l’autoéducation. Le processus de changement qui en découle reste quant à lui essentiellement inconscient (Jung, 1983).
Le postulat de l’être humain naturellement bon reste le point d’ancrage du courant humaniste. Alors pourquoi changer s’il est naturellement bon? L’être humain est bon dans son essence. Les circonstances de la vie et nos circuits neuronaux axés sur l’attention au négatif relèguent les tendances positives au second plan. Elles restent alors en arrière-plan, frustrées, empêchées. Les tendances négatives côtoient parfois des tendances positives à réhabiliter et à mettre au premier plan de la conscience lors d’un accompagnement. Diverses pratiques comme le focusing et l’entretien motivationnel reposent sur ce postulat. Plusieurs courants de recherche au sein du mouvement de la psychologie positive s’intéressent à l’étude des conditions de fonctionnement optimal de l’être humain. Des études en psychologie positive (Ryan, 2005) et en neuroscience (Motschnig–Pitrik et Lux, 2007) viennent donner du crédit à ce postulat.
Selon Rogers (1964), le comportement d’un bébé ressemble à un processus de valorisation organismique, dans lequel chaque élément, chaque moment de ce qu’il vit est en quelque sorte pesé, puis sélectionné ou rejeté, en fonction de si, à ce moment, il a tendance à actualiser l’organisme ou non. L’intention pourrait-elle s’appuyer sur ce processus, présent au moins à l’état latent dans notre organisme? Ce terme, souvent utilisé par Rogers, renvoie à la notion d’expérience, puisqu’il s’agit de ce qui est corporellement vécu et ressenti, en rapport avec le contexte relationnel. Gendlin parle de « savoir organismique expérientiel ».
Ces deux postulats orientent nos évaluations et nos interventions. Quelle que soit notre croyance concernant l’être humain, donc nos clients mais aussi nous-même, elle teinte nos pratiques. Aussi il arrive que l‘intentionnalité des clients et des intervenants change au cours d’un accompagnement. Une nouvelle croyance est mise à l’épreuve, une nouvelle émotion est expérimentée, une nouvelle pensée est abordée… modifiant ainsi l’intentionnalité.
Un counseling de carrière est au fond une rencontre ou une tentative de rencontre entre deux intentionnalités. Du point de vue de la psychologie positive humaniste, les tendances naturelles des clients sont potentiellement positives. Ainsi, il ne sera plus question d’évaluer uniquement les dysfonctionnements ni de combattre des tendances négatives. Évidemment les tendances négatives existent aussi mais il n’est pas question de se focaliser uniquement dessus pour éviter de leur donner trop d’espace et de pouvoir dans la vie de nos clients. Il sera plutôt question d’identifier, de reconnaître, de valider et de valoriser leurs tendances développementales positives notamment leur motivation autonome et leurs autres forces.
En orientation et en développement de carrière, il est bénéfique de valider la personnalité positive constituée de forces intérieures (créativité, humour, optimisme, humilité, intégrité, conscience…). Aider les clients à faire davantage de place à leur personnalité positive, souvent implicite voire non consciente, peut être une source d’inspiration, d’espoir, de choix éclairés. Les choix éclairés de cette façon ont davantage de chances d’être maintenus et d’être générateurs d’autodétermination, de résilience et d’autoconcordance, c’est-à-dire de développement psychologique et social. Les tendances négatives étant inscrites en nous, nous avons parfois besoin d’aide pour remettre au premier plan les tendances positives. Tout au long de la vie la personnalité positive et la motivation autonome peuvent donc croître et constituer un soutien au choix de carrière et au développement de carrière.