Le harcèlement et la résilience
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Le harcèlement et la résilience

Est-ce que la résilience développée par suite de harcèlement subi à l’adolescence est suffisante pour qu’un adolescent puisse devenir un adulte heureux ?

La victimisation par les pairs est un phénomène fréquent dans les écoles du monde entier, avec des taux de prévalence allant jusqu’à 35 %1. De multiples études publiées durant la dernière décennie démontrent que la résilience est un des éléments clés à développer pour éviter un problème de santé mentale à la suite à d’un épisode de victimisation.

Posons-nous la question suivante : est-ce vrai que l’adolescent qui a évité la dépression à la suite d’épisodes de harcèlement, qui semble rebondir et avoir une « vie normale », donc qui a un certain niveau de résilience, est nécessairement outillé pour devenir un adulte capable de promouvoir du bien-être (bonheur)?

Voici la conclusion d’une étude qui vient d’être publiée à ce sujet en 20212 :

« Dans l’ensemble, notre étude démontre que la victimisation à l’adolescence est un facteur de risque important, non seulement pour l’apparition de la dépression, mais aussi pour celle d’un mal-être à l’âge adulte. Ces résultats soulignent l’importance d’étudier non pas une mais deux dimensions de la santé mentale dans le but de comprendre le véritable fardeau de la victimisation et la résilience qui en découle. »

Selon les résultats obtenus auprès des 650 individus ayant subi du harcèlement, les adolescents qui sont restés partiellement résilients en évitant un diagnostic de dépression à la suite de la victimisation, se sont avérés avoir un bien-être significativement plus faible, devenus adultes, que leurs homologues n’ayant pas vécu de harcèlement.

Cela veut donc dire que la capacité de l’adolescent à définir les paramètres qui contribuent à son bien-être peut avoir été sérieusement altérée et négativement influencée par l’épisode de victimisation. Pour appuyer cet énoncé, sachez que près de la moitié des personnes recevant un traitement pour la dépression, que ce soit sous la forme d’antidépresseurs ou de psychothérapie, rapporte une réduction des symptômes, mais qu’une part importante des personnes traitées continue à avoir des expériences négatives.3 Donc, ce n’est pas parce que les personnes voient leurs symptômes diminuer que les paramètres contribuant à l’équilibre et au bien-être ont été évalués, ciblés et rétablis.

De plus, il faut savoir qu’il y a différents cycles de croissance critiques qui surviennent entre la naissance et la jeune vingtaine dans le développement du cerveau.
Durant ces périodes, qui varient dans le temps et en longueur d’un individu à l’autre, la plasticité du cerveau est intensément à l’œuvre pour recevoir toute l’information pertinente à promouvoir son développement. Comme le décrit le Dre. Sarah McKay, neuroscientifique : « Pendant une période critique, le cerveau de l’enfant-adolescent-jeune adulte entre dans un pas de deux intime avec le monde extérieur. Les photons et les ondes sonores entrants servent d’indices à la machinerie moléculaire du cerveau pour établir et sélectionner les liens entre les cellules cérébrales qui dureront jusqu’à l’âge adulte et la vieillesse. »3

C’est ainsi que le système limbique, qui comprend plusieurs régions du cerveau, ainsi que le cortex préfrontal et l’hypothalamus subissent une réorganisation importante pendant l’adolescence et sont impliqués dans les fonctions exécutives comme la prise de décision, le comportement social et l’expression. Ces fonctions participent à la construction de la personnalité, car elles orchestrent les émotions, les pensées et les actions.4

Certains d’entre vous, en tant que parents, éducateurs spécialisés ou spécialistes en orientation, auront assurément remarqué qu’entre l’âge de 12 et 15 ans, les adolescents ne semblent plus du tout tenir compte de votre avis ou de l’opinion de leurs parents. Non seulement sont-ils probablement dans un cycle de croissance critique, mais, selon plusieurs études, ils sont à cet âge principalement intéressés par ce que leurs homologues ont à dire, et rien d’autre.5 Alors, imaginez l’impact sur un cerveau en état de plasticité intensive que peut avoir un épisode de victimisation sur le développement de l’estime de soi ou de la compréhension d’un fonctionnement socialement sain.

Cela étant dit, on sait actuellement que le cerveau continue à se modifier, même à l’âge adulte, grâce à sa plasticité. Donc, même si un cycle critique s’est clôturé sur un chemin neuronal qui entraîne l’adolescent à conclure, conséquemment au harcèlement subi, que son mal-être est inévitable (même s’il a créé suffisamment de résilience pour ne pas recevoir de diagnostic en santé mentale), il est malgré tout important de tenter, même devenu adulte, d’affaiblir les paramètres négatifs de ce mal-être afin de pouvoir créer de nouvelles balises positives.

Il devient donc logique de penser que, s’il n’y a pas de pathologie qui empêche une progression positive, plus l’intervention se fera rapidement auprès de l’adolescent, plus il aura la chance de tracer un nouveau chemin neuronal lui permettant de sentir et conclure qu’il peut contribuer à la société, faire grandir son estime de soi et son autonomie. Par des interventions liées au bien-être, il aura aussi accès à l’autocompassion, saura bâtir des relations positives et trouver les rôles et les buts qui lui donneront raison d’exister, et ce, malgré ce qui aura été transmis ou perçu lors du harcèlement.

Les interventions liées au bien-être sont plus vastes que la résilience, tout en l’incluant et sont susceptibles d’être plus protectrices contre d’autres problèmes de santé mentale que les interventions axées uniquement sur le soulagement de la maladie mentale.6

Alors, la prochaine fois que vous accompagnez un adolescent ou un enfant à la suite d’un épisode de harcèlement ou de victimisation, n’oubliez pas de recommander aux parents qu’il serait fortement judicieux que ce dernier accède à un soutien contribuant à deux facteurs : la santé mentale et le bien-être. Si vous êtes un professionnel du développement de la carrière, assurez-vous que le métier choisi par l’adolescent ou le jeune adulte en est bien un qui lui permettra de s’épanouir et de réussir dans un métier qu’il lui sied à lui, et pas à ceux auxquels il croit devoir plaire*.

Et je vous pose la question à vous, chers lecteurs : avez-vous déjà subi du harcèlement? Si oui, il serait temps de valider que le soutien reçu n’est pas seulement lié au maintien de votre santé mentale, mais qu’il contribue également à votre bien-être dans le temps! Il n’est jamais trop tard.


Références :

1 Armitage, J.M., Wang, R.A.H., Davis, O.S.P. et al. Peer victimisation during adolescence and its impact on wellbeing in adulthood: a prospective cohort study. BMC Public Health 21, 148 (2021). https://doi.org/10.1186/s12889-021-10198-w

2 Modecki KL, Minchin J, Harbaugh AG, Guerra NG, Runions KC. Bullying prevalence across contexts: a meta-analysis measuring cyber and traditional bullying. J Adolesc Health. 2014;55(5):602–11

3 Bolier L, Haverman M, Westerhof GJ, Riper H, Smit F, Bohlmeijer E. Positive psychology interventions: a meta-analysis of randomized controlled studies. BMC Public Health. 2013;13:119. https://doi.org/10.1186/1471-2458-13-119 PMID: 23390882; PMCID: PMC3599475

4 The adolescent brain and age-related behavioral manifestations. Spear LP Neurosci Biobehav Rev. 2000 Jun; 24(4):417-63

5 Demystifying the female brain, Dr Sarah McKay, First published in Great Britain in 2018 by Orion Springan imprint of The Orion Publishing Group Ltd Carmelite House, 50 Victoria Embankment London EC4Y 0DZAn Hachette UK Company, ISBN: 978 1 4091 7318 2Ebook ISBN: 978 1 4091 7319 9

6 Schotanus-Dijkstra M, Drossaert CHC, Pieterse ME, Boon B, Walburg JA, Bohlmeijer ET. An early intervention to promote well-being and flourishing and reduce anxiety and depression: a randomized controlled trial. Internet Interv. 2017;9:15–24. https://doi.org/10.1016/j.invent.2017.04.002.


(*Suggestion de lecture à ce sujet : Détecter le « désir-être » versus le « devoir-être » : contribue au maintien de la santé mentale des individus au travail, paru sur OrientAction).

Auteure du livre « 80 heures par semaine, Quand l’hyper performance devient toxique » Éditions de la Semaine, MJ est également une consultante réputée et respectée en matière de santé psychologique au travail et en mobilisation des ressources humaines. Elle possède plus de 22 ans d’expérience en tant que responsable de la production et consultante dans de nombreux domaines.
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Auteure du livre « 80 heures par semaine, Quand l’hyper performance devient toxique » Éditions de la Semaine, MJ est également une consultante réputée et respectée en matière de santé psychologique au travail et en mobilisation des ressources humaines. Elle possède plus de 22 ans d’expérience en tant que responsable de la production et consultante dans de nombreux domaines.
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