Pompier ou fourmi? Ces modes d’intervention qui favorisent un bien-être durable
Éducation

Le pompier ou la fourmi?

Temps de lecture : 5 minutes

Nous avons toujours tendance à admirer ou à envier cet intervenant¹ spécialisé ou ce parent qui semble toujours avoir solution à tout. Combien de fois est-ce que l’on s’est dit : « Waouh! j’aurais bien aimé avoir cette idée et avoir réagi avec autant de compétence ou aussi rapidement! »? Et on repense à toutes ces autres occasions où on aurait pu être meilleur. 

Je vais vous demander, à partir de maintenant, à vous, intervenants auprès d’enfants ou d’adolescents qui êtes experts à gérer les urgences, et à vous, intervenants qui êtes plus à l’aise avec un accompagnement d’une durée à moyen ou long terme, de prendre le temps de bien saisir l’importance de vos différents talents dans le développement de la santé mentale et du bien-être d’un individu dans le temps. 

Mon objectif est que chacun comprenne la force, la pertinence et la compétence de l’autre et qu’au lieu d’envier ou de fuir un collègue qui semble meilleur que vous ou qui vous tape sur les nerfs parce qu’il ne semble pas saisir certains concepts liés au développement de l’enfant, vous sachiez plutôt reconnaître ce qui formera cette équipe d’intervention hors pair. Une équipe qui permettra à l’enfant ou à l’adolescent de bâtir les chemins neuronaux qui lui permettront d’accroître sa capacité à faire des choix positifs, car ils naîtront d’un cortex fortifié par une intervention en urgence ET stratégique. 

Certains d’entre vous me diront : « Vraiment, Marie, tu crois que nous ne savons pas que c’est important? Tu crois que nous n’essayons pas de l’appliquer dans notre travail? Si tu savais comment on se bat pour avoir cette équipe dans nos services! » 

Pourquoi, dans le monde actuel, est-ce que ce sont les pompiers qui sont bien vus, tandis que les autres demeurent dans l’ombre ? 

Parce que le pompier est spectaculaire, alors que la fourmi semble invisible et que le fruit de son labeur prend du temps à mûrir. Parce que les budgets sont serrés, on privilégie le court terme et l’action (mode pompier) qui semble régler immédiatement le problème. Mais une fois le feu éteint, il faut prendre le temps d’évaluer les dégâts et reconstruire, tout en s’assurant de prévenir un autre incendie (mode fourmi). 

Qui d’après vous est l’intervenant le plus important dans ce processus? À mes yeux, qui ne sont pas teintés par un besoin de reconnaissance malmené depuis trop longtemps, la réponse est sans contredit : les DEUX.

Car rien ne peut être construit sur du feu et rien ne peut s’améliorer sans des fondations solides.

Mon objectif ici n’est pas de vous rabâcher ce que vous savez déjà, mais plutôt d’essayer de vous donner un nouveau langage pour vous aider à atteindre vos objectifs. Peut-être pourrez-vous diriger vos gestionnaires ou vos bailleurs de fonds vers cet article, afin de les aider à comprendre l’importance d’une équipe ayant l’habilité d’intervenir dans ces deux modes. 

Les neurosciences démontrent depuis 2010 que le multitâche a ses limites²

Bien sûr, nous pouvons être habiles à faire plusieurs choses en même temps, mais il arrivera tôt ou tard une situation où nous commettrons des erreurs. À la lumière de cette information, il vaut mieux laisser à chacun sa spécialité afin de performer au mieux de l’intérêt de l’enfant ou de l’adolescent. 

L’analogie avec le feu et les fondations étant faite, comment cela fonctionne-t-il lorsque l’on intervient auprès de l’enfant ou de l’adolescent et du parent? D’abord, quel type d’intervenant êtes-vous ? Pompier ou fourmi ? Le parent, a-t-il tendance à sauter en mode solution et à tout régler lui-même ou semble-t-il apte à trouver le problème à la source et à fournir un effort d’accompagnement soutenu? Êtes-vous actuellement le type d’intervenant qu’il faut par rapport à la situation et est-ce que la façon de faire du parent auprès de l’enfant est adéquate pour promouvoir le bien-être de ce dernier? 

Je suis certaine que vous connaissez la réponse à ces questions et que votre désir profond est d’aider. Vous savez également que l’enfant ou l’adolescent observe et enregistre tous les faits et gestes des adultes qui tentent de l’assister. Si vous ne le savez pas déjà, je vous rappelle que cet individu est probablement dans une des cinq périodes critiques du développement de son cerveau.  Durant l’une de ces périodes, il crée ou renforce ses chemins neuronaux : il se débarrasse de la matière grise (neurones) superflue et produit cette matière blanche qui renforce les chemins neuronaux qui lui semblent les plus cohérents envers ses propres besoins. Ces chemins finissent par constituer ses croyances et valeurs, qui, elles, se forgent au travers de ses expériences et jugements. 

Donc, si l’enfant ou l’adolescent n’a accès qu’à des interventions en mode pompier ou qu’il ne perçoit une valorisation qu’à travers ce mode, que va-t-il bâtir comme croyances? Quelles seront ses propres capacités par rapport à savoir être stratégique pour son bien-être dans le temps? Quelles seront ses connaissances par rapport à l’effort à fournir pour résoudre des problèmes d’une façon durable? Surtout si en tant qu’intervenant ou parent on s’efforce de toujours trouver une solution à sa place, se gratifiant au passage dans ce rôle! Peut-être qu’en fait, vous cherchez à protéger cet individu si important dans votre vie en lui évitant de ressentir des émotions négatives, croyant ainsi préserver son bien-être ou votre relation?  

fourmis

Un exemple concret de la synergie créée par le mode d’intervention pompier-fourmi 

On m’a souvent accusée ne pas être un parent nourricier. Vous savez, ce parent qui cuisine tous les repas, qui fait le lavage de son adolescent de 16 ans, qui va le conduire partout sur demande et qui explique aux professeurs pourquoi il n’a pas fait ses devoirs. J’ai évité de faire cela ou je ne l’ai fait que très peu en m’assurant chaque fois d’expliquer à mon enfant que, pour cette première erreur, j’allais l’aider à trouver la solution qui réduit la conséquence pour lui-même, mais que, la prochaine fois, il vivrait celle-ci entièrement et qu’il devait donc, avec mon soutien, faire partie de la stratégie à long terme afin d’éviter que le même problème se reproduise.  

Mon fils a vécu l’expérience de ne pas manger un midi parce qu’il s’est levé trop tard pour faire sa boîte à lunch. La première fois, après avoir reçu un appel de la responsable de l’école, j’ai agi en mode pompier, j’ai quitté le travail pour aller lui porter un repas. Le lendemain, j’ai mis en place l’intervention mode fourmi et nous avons convenu ensemble comment éviter que le problème se reproduise. Il n’a malheureusement pas tenu son engagement dans le temps et j’ai reçu un autre appel de l’école qui me demandait de venir lui porter son repas. J’ai expliqué la démarche entamée avec mon fils, et la responsable a finalement décidé d’être ma complice en acceptant que je ne vienne pas le sauver, et elle ne lui a rien donné. Je n’ai plus jamais eu à intervenir en mode pompier, car mon fils a compris les conséquences, les étapes et les efforts à fournir (mode fourmi) pour répondre à son besoin. Il a compris que son rôle est de faire son lunch, à partir des aliments que je lui fournis, et qu’il est de sa responsabilité de l’apporter à l’école, et non la mienne. 

Je sais que cet exemple est très simpliste et que vos interventions sont assurément en lien avec des situations beaucoup plus graves et complexes. J’ai malgré tout espoir que ce vécu servira à simplifier ces situations. Cette dernière cherche à illustrer comment vos talents uniques peuvent créer la synergie nécessaire à bâtir l’autonomie indispensable au bien-être durable chez un individu. Vous savez mieux que personne comment chaque petit geste compte. Merci d’exister et de faire partie de ceux qui savent comment distribuer à chacun son rôle et son talent, sans se sentir trop ou pas assez ! 

 

¹ Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique du masculin est utilisé comme genre neutre. 

² Multitasking Splits the Brain -The brain divides and conquers so that we can perform two tasks at once—but there are limits (https://www.science.org/content/article/multitasking-splits-brain-rev2) 

Auteure du livre « 80 heures par semaine, Quand l’hyper performance devient toxique » Éditions de la Semaine, MJ est également une consultante réputée et respectée en matière de santé psychologique au travail et en mobilisation des ressources humaines. Elle possède plus de 22 ans d’expérience en tant que responsable de la production et consultante dans de nombreux domaines.
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Auteure du livre « 80 heures par semaine, Quand l’hyper performance devient toxique » Éditions de la Semaine, MJ est également une consultante réputée et respectée en matière de santé psychologique au travail et en mobilisation des ressources humaines. Elle possède plus de 22 ans d’expérience en tant que responsable de la production et consultante dans de nombreux domaines.
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