La peur du silence dans nos communications peut être très dérangeante pour certains. Nous avons tous déjà fait l’expérience d’un moment, au cours d’une discussion, où tout à coup un silence teinté de malaise surgit. Qu’en est-il lorsque, en tant qu’intervenants, nous nous attribuons la responsabilité de meubler le temps d’une rencontre d’intervention avec un client? Plusieurs d’entre nous tentons d’éviter à tout prix ces moments de silence. Mais les silences ne sont pas tous égaux! On se concentre beaucoup sur les mots et leur sens, mais en ne réfléchissant pas au silence, on oublie toute une facette importante de la communication. Les silences ont une grande signification et peuvent avoir des impacts importants tant pour le client que pour l’intervenant. Choisir de ne pas utiliser de mots est aussi significatif que de choisir ce dont on parle.
Le silence productif est composé de trois processus, soit émotionnel, expressif ou réflexif. Ces silences permettent d’entamer la mise en action ou de favoriser chez le client l’expérience d’émotion profonde ou de symbolisation complexe, tout en permettant au client de procéder à une analyse réflexive de son expérience.
Émotionnel : Ces silences sont les moments où le client vit des émotions ou alors est en processus d’entrer en contact avec ses émotions. Les observations directes du client pouvant être identifiées sont des réactions émotionnelles calmes autant que des réactions émotionnelles puissantes et envahissantes. Les émotions pouvant être vécues vont de la peur jusqu’à la tristesse en passant par la colère et l’appréciation.
Expressif : Ces silences sont les moments où le client est à la recherche de mots justes, de la juste phrase ou d’un mot clé pour décrire une idée ou sentiment. On peut en faire l’observation lorsque le client mentionne qu’il essaie de trouver le mot approprié ou qu’il sent approprié pour eux. Le client semble essayer de ralentir la discussion ou le processus dans lequel il essaie de symboliser et d’exprimer une expérience nouvelle ou complexe.
Réflexif : Ces silences sont les moments où le client questionne des idées, développe une conscience réflexive par rapport à un problème complexe ou bien fait des rapprochements, liens et prises de conscience de sa propre expérience. On peut l’observer lorsque le client présente une nouvelle idée devant être considérée. Le client peut manifester et exprimer des questionnements, des réflexions, semble évaluer et révèle un processus de rassemblement d’idées.
Le silence obstructif est composé de deux processus, soit désengagé et interactionnel. Ces silences sont les obstacles que les clients rencontrent lors de leurs moments de réflexion et d’auto-exploration. Le processus de désengagement se manifeste lorsqu’un élément de la rencontre est considéré comme trop menaçant. Le processus interactionnel se manifeste lorsqu’un élément apporté par l’intervenant ou attribué à l’intervenant n’est pas clair ou s’avère dérangeant pour le client.
Désengagé : Ces silences sont les moments où le client se désengage émotionnellement d’un sujet discuté. Le client rapporte parfois un inconfort vis-à-vis du sujet. Le silence peut être utilisé comme une façon d’éviter les contacts visuels lors d’émotions difficiles, de distraire l’intervenant de l’exploration d’un sujet menaçant ou, de manière plus passive, de se retirer de toute interaction. Les observations directes du client pouvant être faites consistent en un silence suivi par une blague, un résumé, une réponse distrayante ou l’évitement d’une réponse.
Interactionnel : Ces silences sont les moments où le client redirige ses propos vers les aspects interactifs de la discussion plutôt que sur ce qui est discuté. Il semble y avoir trois raisons pour ces pauses : a) lorsque le client sent une pression et qu’il remarque une prise de conscience de l’intervenant ou des changements d’expression de l’intervenant; b) lorsqu’une confusion survient dans l’interaction menant le client à essayer de faire du sens du discours ou des comportements de l’intervenant; c) lorsque le client a une réaction négative à l’intervenant mais est réticent à le confronter. Le client pourrait prendre une pause afin de bien évaluer la meilleure façon de préserver l’alliance “thérapeutique”.
Le silence neutre est composé de deux processus, soit mnémonique ou associatif. Ces silences sont décrits comme ayant un effet plus neutre sur l’expérience du client lors du processus d’aide.
Mnémonique : Ces silences sont les moments où le client tente de se rappeler les détails d’un événement ou l’objectif de la discussion entamée avec l’intervenant. Le client prend ce moment pour se rappeler les détails précis d’un souvenir ou voir si, dans son historique personnel, certaines habitudes peuvent être mises en lien avec ce qui est discuté lors de l’intervention. Le processus peut-être identifié lorsque l’intervenant demande au client de l’information, que le client a de la difficulté à se rappeler des détails ou que le client mentionne qu’il ne se rappelle plus.
Associatif : Ces silences sont les moments où le client diverge vers un nouveau contenu sans faire de transition claire avec le précédent. L’association du client utilise un cadre de référence ou une intention préalable qui n’est pas en lien direct avec le sujet présentement abordé. La tentative du client de changer de sujet peut mener vers une précédente discussion ou bien encore vers une nouvelle idée, mais sans créer de lien entre les sujets.
Il peut être intéressant et pertinent pour la pratique d’être en mesure de reconnaître les silences comme des moments actifs ayant une signification plutôt que comme des moments vides et dépourvus de sens. Demander au client ce qui s’est passé pour eux lors des moments de silence teintés de malaise ou de tension permet à l’intervenant de bien suivre le processus de réflexion interne du client lors de moments de désengagement ou de « disjuncture ». Ce questionnement peut donner l’occasion tant à l’intervenant qu’au client d’en apprendre plus sur la gestion des émotions et des réactions lors de sessions d’intervention. Il est important pour les intervenants en pratique et surtout les intervenants en apprentissage de bien savoir reconnaître les différentes catégories de silence et les apports de ceux-ci lors d’intervention.
Levitt, H. M. (1998, juillet). Silence in Psychotherapy. Toronto.