Insertion professionnelle et la double identité des étudiants des cycles supérieurs
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Insertion professionnelle et la double identité des étudiants des cycles supérieurs

Temps de lecture : 4 minutes

Dans un contexte socioéconomique changeant, les étudiants sont confrontés à une fragilisation de leur parcours d’insertion professionnelle, alors que les différentes avenues de formation ne sont plus nécessairement arrimées à des débouchés sûrs. Les étudiants des cycles supérieurs font face eux aussi à de grandes incertitudes quant à leur avenir professionnel et à la manière dont leur insertion sur le marché du travail s’effectuera, qui plus est parce qu’ils doivent souvent composer avec ce qu’on pourrait appeler une double identité professionnelle qui vient complexifier leur rapport à l’emploi.

L’identité professionnelle en quatre temps
Le choix de sa formation

On choisit sa formation entre autres en fonction de sa personnalité, de ses aspirations, de ses aptitudes, de ses intérêts, de ses valeurs, de même qu’en vertu de sa sensibilité à un secteur d’activité ou à une activité précise. Par exemple, une étudiante peut choisir la médecine parce qu’elle aime venir en aide aux autres, qu’elle a des intérêts pour la biologie, qu’elle aspire à avoir un emploi d’influence dans la société, etc. L’ensemble des motivations qui informent le choix de formation sont donc une expression de l’identité professionnelle de la personne à ce moment de son parcours.

Au cours de sa formation

Alors que la personne acquiert des connaissances et des compétences en lien avec la profession à laquelle elle se destine, la construction de son identité professionnelle se poursuit et se précise à travers le développement de son appartenance à des groupes de référence. Si toutes les disciplines ont leurs groupes de référence associés, c’est particulièrement le cas dans les domaines d’études qui préparent à joindre un ordre professionnel, c’est-à-dire un groupe de référence « officiel » ayant des critères d’intégration stricts et clairement annoncés.

À travers le parcours de formation, les étudiantes et étudiants apprennent (explicitement et implicitement) les éléments caractéristiques du groupe de référence tels que le jargon, les normes, les croyances, les valeurs et les comportements attendus des membres. La formation devient donc un espace qui permet le mimétisme, la comparaison et la différenciation entre l’étudiant et le groupe de référence. Ainsi, toutes les caractéristiques du groupe de référence auxquelles la personne est confrontée, qu’elle y adhère ou non, viennent influencer le développement de son identité professionnelle.

Il serait faux de penser, cependant, que l’identité professionnelle des étudiantes et étudiants d’un domaine donné soit homogène. La construction de leur identité professionnelle est aussi influencée par leurs expériences (stage, internat, etc.), leurs habitudes, des opportunités, des rencontres, etc., et est surtout dynamique dans le temps et dans l’espace.

Aux cycles supérieurs

Aux cycles supérieurs, un groupe de référence supplémentaire vient s’ajouter à cette équation : la communauté de chercheurs et de chercheuses. L’étudiant se retrouve alors en contact avec des chercheurs de son domaine, mais aussi de domaines connexes, en plus de se familiariser avec de nombreuses écoles de pensée et méthodes distinctes, ce qui ne peut que complexifier son identité professionnelle.

Voilà qui réduit significativement le nombre de personnes qui partagent la majorité des éléments identitaires auxquels s’identifie l’étudiant, ce qui peut occasionner un certain isolement, ainsi qu’une éventuelle remise en question des liens d’appartenance établis jusque-là. La ligne directe qu’on croyait tracer entre le choix de formation et l’insertion sur le marché du travail en devient parfois de plus en plus floue.

En recherche d’emploi

Au terme de leur formation, les étudiantes et étudiants des cycles supérieurs ont donc acquis en quelque sorte une double identité.

Voilà qui peut être un avantage certain pour les étudiants avec un parcours d’intégration régulier. Un étudiant qui complète son postdoctorat en philosophie et cherche à décrocher un emploi comme professeur, par exemple, en tirera évidemment profit. Même chose pour une étudiante en médecine qui se destine à la chirurgie et qui est sélectionnée par le processus du Service canadien de jumelage des résidents (CARMS) pour faire son internat dans le domaine choisi.

Cependant, la situation se complique lorsqu’un étudiant, pour une raison ou une autre, ne suit pas une voie d’intégration tracée d’avance. Dans de tels cas, la grande spécialisation des étudiants des cycles supérieurs entre souvent en conflit avec la réalité du marché du travail, dont les exigences peuvent différer largement de ce qui était valorisé et préconisé dans le milieu de la recherche dont ils émergent.

Souvent, selon mon expérience, les diplômés des cycles supérieurs tiennent à mettre de l’avant leur identité professionnelle de chercheur au moment de postuler pour un emploi, sans toutefois s’interroger sur la pertinence de le faire en regard du poste visé. Voilà qui donne lieu aux CV de 8 pages contenant une liste exhaustive de publications scientifiques : quand on investigue un peu, on comprend que ce choix est davantage basé sur un besoin identitaire que sur une analyse de l’offre d’emploi.

Or, dans un contexte où il est improbable de parvenir à un agencement parfait entre un marché du travail en constante évolution et une identité professionnelle complexe acquise au cours de longues études, il est particulièrement important de ne pas laisser son identité professionnelle devenir un frein à ses démarches d’insertion.

Le rôle des professionnels de l’orientation, lorsqu’ils interviennent auprès de cette clientèle, devrait être principalement de l’aider à démêler ses enjeux identitaires des réalités pragmatiques de la recherche d’emploi. De l’aider à comprendre que le processus d’insertion est en fait simplement une autre étape du développement de l’identité professionnelle.

Qu’en faisant preuve de créativité dans son approche du marché de l’emploi et en acceptant de s’adapter aux besoins du milieu, le chercheur d’emploi sera en mesure de laisser ce nouveau contexte, à son tour, influencer et nourrir son identité en constante évolution.

En bref
  • Apprendre à connaître les besoins du milieu et adapter son CV et sa lettre de présentation en conséquence, sans essayer de maintenir son profil de chercheur à tout prix;
  • Se familiariser avec les terminologies du milieu et ne pas se restreindre aux titres d’emploi spécifiques à notre programme d’études;
  • Réfléchir à la manière dont nos compétences en recherche peuvent servir le milieu et exprimer cette part de notre identité de manière concrète et adaptée, par exemple lors d’une entrevue.
Passionné d’innovation et de création, Steve St-Pierre est étudiant à la maîtrise en orientation à l’Université de Sherbrooke. Il a complété des études en administration, ressources humaines et psychologie à l’Université Bishop. De plus, il est intervenant pour le Centre jeunesse de la Montérégie depuis 2006, après avoir complété des études en éducation spécialisée au Collège régional Champlain. Tenter de joindre la théorie à la pratique, et l’utile à l’agréable, est ce à quoi il aspire.
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Passionné d’innovation et de création, Steve St-Pierre est étudiant à la maîtrise en orientation à l’Université de Sherbrooke. Il a complété des études en administration, ressources humaines et psychologie à l’Université Bishop. De plus, il est intervenant pour le Centre jeunesse de la Montérégie depuis 2006, après avoir complété des études en éducation spécialisée au Collège régional Champlain. Tenter de joindre la théorie à la pratique, et l’utile à l’agréable, est ce à quoi il aspire.