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Personnalisé et personnalisation : un dérapage dévastateur sur tous les plans
Une interprétation erronée – quoique persistante et généralisée – des mots « personnaliser » et « personnalisation » a mené à la conclusion que toute prestation – en particulier éducosociopsychologique – doit se limiter à du un-à-un, voire du face-à-face, bannissant ainsi presque totalement tout recours à des modalités collectives ou groupales. Ce dérapage vient en grande partie du fait que les marketeurs, portés par la vague individualiste de l’heure, ont rapidement récupéré cette terminologie à leurs fins : personnaliser une automobile, un vêtement, etc.Étymologiquement, personnaliser et personnalisation signifient faire référence à la personnalité du bénéficiaire, par exemple, tenir compte s’il est visuel ou auditif, introverti ou extraverti, pensée concrète ou pensée formelle, etc.
L’erreur dans cette interprétation vient du fait que l’on confond la modalité et la finalité d’une prestation. Alors qu’étymologiquement, encore une fois, personnalité et personnalisation font référence à la finalité, cette interprétation fallacieuse les réduit à des enjeux de modalité et les confond à ceux-ci. Or, lorsqu’il est question de modalité, il vaudrait mieux utiliser les mots « individualiser » et « individualisation » en sachant qu’une modalité peut très bien s’optimiser dans des approches groupales en recourant entre autres, comme je l’ai démontré, à divers fractionnements (Limoges,2014).
En revanche, il suffit de se référer à des modèles comme l’intelligence multiple (Gardner, 1993) ou des typologies comme le RIASEC (Holland, 1973) ou encore aux styles d’apprentissage dans un processus décisionnel comme ceux mis de l’avant par Pelletier, Noiseux et Bujold (1974) ou par Kolb (1984), pour réaliser qu’une bonne majorité des « personnalités » ne peut pleinement s’épanouir sans une interaction relativement soutenue avec des personnes autre qu’un simple intervenant et tout particulièrement dans un contexte groupal. Dewey (1974) parle même de transactions constantes avec les autres.
Mais force est de constater qu’un des aspects pervers de cette fausse interprétation est qu’au cours des 25 dernières années, le volet groupal dans les formations initiales et continues des divers intervenants en « psychologie appliquée » s’est grandement effrité, exception faite peut-être de celle des travailleurs sociaux (Berteau, 1999) : moins d’expérientiel, moins de laboratoires ou de groupes de formation (T Group), met l’accent sur le savoir au détriment des savoir-faire et savoir-être, moins de cours ou de stages en lien avec la pratique groupale, dilution du concept d’intervention en petits groupes pour n’en faire qu’une question de nombre, etc. Me référant à mon quart de siècle comme formateur-chercheur en diverses pratiques groupales, j’avance l’hypothèse que cette « compétence » est significativement moins maitrisée et donc que les diplômés des récentes cohortes sont moins habilités et guère outillés pour proposer et mettre en place des prestations en mode groupal surtout dans les temps présents, où tous les espoirs portent sur les services en ligne, voire même la robotique.
La preuve par neuf
Évidemment, les décideurs et représentants des psychologues concernés1 interviewés prônèrent tout de go une embauche massive de psy, tout en faisant ressortir que des services en ligne ne pourraient que très faiblement réduire ledit problème. Sans aucune surprise, tout au long du reportage, tant dans ses versions orales qu’écrites, les approches groupales ne furent jamais mises de l’avant alors que depuis longtemps elles ont fait leurs preuves.
Déjà, durant la rédaction de mon traité sur Le potentiel groupal en 2014, je faisais mention à la métanalyse de Burlingame, Fuhrman et Moisier. (2003), qui portait sur 111 groupes répartis sur 20 années et les amenant à conclure que l’intervention groupale était aussi efficace que l’intervention individuelle, voire supérieure surtout lorsqu’elle visait des objectifs psychothérapeutiques. Avant eux, Toseland et Siporin (1986) ont compilé 32 études pour conclure que, dans 70 % des cas, la prestation groupale était aussi efficace qu’une intervention individuelle et ajoutèrent que dans 25 % des cas la prestation groupale s’est avérée plus efficace.
Quant à l’efficacité des groupes avec des enfants et des adolescents, elle n’était plus à démontrer comme l’ont démontré Aronson et Kohn (2004). Cependant, depuis le début de ce siècle, les publications , tant scientifiques que de vulgarisation, portent essentiellement sur des approches groupales en direction des jeunes, par exemple, utilisant yoga, thérapie par l’art ou pleine conscience, mais à ce jour, aucune métanalyse fouillée d’envergure n’existe.
Du coup, l’effritement mentionné plus haut – quant au volet groupal dans la formation des intervenants et chercheurs – apparait au grand jour. Ainsi, si on fait un bref survol des articles et des publications des vingt dernières années, il appert qu’il se fait beaucoup moins de recherches et encore moins de métanalyses sur l’efficacité des pratiques groupales en soi, entre elles et par comparaison à d’autres pratiques, comme le face-à-face ou le conseil en ligne.
À bon entendeur, salut!
Références
ARONSON, A. et KOHN, G. (2004). Group interventions for treatment of psychological trauma. Module 3: Group interventions for treatment of trauma in adolescence. AGPT.
BERTEAU, G. (1999). La pratique de l’intervention de groupe. PUQ.
BURLINGAME, G. FUHRMAN, A. et MOISIER, J. (2003). «The differential effectiveness of group psychotherapy», Group dynamics, theory, research, and practice. Vol. 7, no 1, p. 2-12.
DEWEY, J. (1975). Démocratie et éducation. Armand Colin.
GARDNER, H. (1993). Les formes de l’intelligence. Odile Jacob.
KOLB, D. (1984). Apprentissage expérientiel. Printice-Hall,
LIMOGES, J. (2014). Le potentiel groupal. Septembre.
PELLETIER, D., NOISEUX, G. et BUJOLD, C. (1974). Activation du développement vocationnel et personnel. McGraw Hill.
TOLSELAND, R. et SIPORIN, M. (1986). « When to recommend group treatment », International journal of psychotherapy, vol. 35, no 2 p. 171-201.
[1] Coalition des psychologues du réseau public québécois.
Cet article est le premier dans OrientAction dans la série thématique « Les jeunes et le choix de carrière ». Restez à l’affût sur OrientAction dans les jours à venir pour plus d’articles thématiques, ou inscrivez-vous à notre infolettre hebdomadaire OrientAction en bref pour recevoir les publications thématiques.