La dynamique Individu-Étude-Travail à l'ère de l'infotech et du biotech -  Individu et Dynamique (deuxième partie)
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La dynamique Individu-Étude-Travail à l’ère de l’infotech et du biotech –  Individu et dynamique (deuxième partie, 2/2)

Temps de lecture : 4 minutes

Ce texte est la deuxième partie de ce billet

Individu 

Depuis près de 30 millions d’années, gènes et culture se conjuguent pour façonner l’être humain et ce qui rend cet être unique dans le monde du vivant connu, c’est qu’il est le seul à être mu par deux systèmes, l’un dit fermé assurant son intégrité et l’autre dit ouvert de sorte qu’il est toujours en développement (Henrich, 2019).

À titre d’exemple, son cerveau peut traiter tout au plus que sept données significatives simultanément, ce qui constitue à la fois un handicap et un atout particulièrement aujourd’hui.

Un handicap, car l’Infotech lui envoie à chaque instant des milliers d’informations, soit une quantité ingérable pour cet individu, et un atout, car en raison de ce plafond l’Individu risque beaucoup moins d’être anéanti à long terme sous cette masse informationnelle. 

Sous l’impact d’un tel montage héréditaire et conjoncturel, chaque spécimen humain se développe selon divers stades, chacun nécessitant la réussite de tâches spécifiques sans quoi il y a retard, voire immaturité. (Loevinger, 1987). En d’autres termes, afin de simplement ÊTRE, l’individu doit réaliser un certain nombre de tâches, et si jusqu’ici il était surtout question de compétences dans ce billet, le terme tâche sied mieux maintenant au pôle Individu, mais subit tout autant la mouvance amorcée par l’Infotech et la Biotech combinées. 

Infotech 

Afin d’éviter d’être submergé de façon prolongée par l’information provenant sans cesse de son environnement, l’individu doit apprendre à trier et à sélectionner ces informations, par exemple selon la qualité de leur source (médias traditionnels, réseaux sociaux, etc.); leur véracité (vraie ou fausse nouvelle, fait ou opinion, etc.); leur diversité (apprendre à diversifier ses options de choix, etc.) et leur agencement (algorithmes, piratage (hacking), promotion, etc.). De ce fait, il doit devenir fonctionnel avec les divers canaux utilisés par l’Infotech. 

L’Infotech suit toujours pour l’essentiel la même trajectoire : va de l’extrapersonnel à l’intrapersonnel et tous les algorithmes qu’elle utilise visent à faciliter ou à amplifier cette trajectoire. Au bout du compte, c’est à l’individu que revient la tâche de réagir à cette information. Une première série de ces tâches est d’ordre cognitif : penser par lui-même, varier ses choix et décisions, faire des choix en privilégiant le qualitatif au quantitatif (Bohler, 2019). Inutile d’en dire plus, car ces tâches cognitives font régulièrement l’objet de publications. 

In contrario, l’Infotech fait appel à des tâches d’ordre affectif, et celles-ci sont encore peu connues. Les scientifiques consultés pour ce billet jettent un immense pavé dans la mare en affirmant à l’unanimité que la liberté est un leurre ou que l’être humain n’est pas libre puisqu’il est la résultante d’une longue évolution toujours en cours qui constitue un puissant algorithme interne. À preuve, des neuroscientifiques ont pris en compte divers facteurs relativement faciles à identifier comme l’état digestif ou la qualité du sommeil pour prédire avec succès la décision finale d’électeurs qui se disaient depuis le départ indécis. Or, comme le rappelle Harari (2018), ce n’est qu’en étant attentif à ses ressentis et en leur faisant confiance qu’une personne pourra s’affranchir quelque peu de ces algorithmes tant externes qu’internes, un peu à la manière d’un derviche tourneur qui se recentre sur son pied « pivot » afin de ne pas être déstabilisé, voire happé pour tout ce qui tourne autour de lui dans un rythme infernal.  

Biotech 

Parallèlement entre en jeu la Biotech avec son engagement pour une vie plus longue et de meilleure qualité biomédicalement parlant! Il s’ensuit pour la personne de nouvelles tâches à accomplir alors que les théories psychodéveloppementales actuelles commencent à peine à définir ces nouveaux stades (Limoges, 2010). D’ores et déjà, il appert que la personne devra apprendre à se réinventer cycliquement afin de ne pas tourner en rond, à trouver du sens, voire à se donner du sens dans ce nouvel Athènes sans esclave.  

Pendant encore plus longtemps, la personne aura régulièrement à répondre aux questions « Qui suis-je » et « Qu’est-ce que j’attends de ma vie qui aurait de bonne qualité et qui l’allongerait ? ».

Parmi les réponses à ces questions, Harari (2018) suggère le développement de projets structurés et structurants qui dépassent les simples visées occupationnelles. Bohler (2019) va dans le même sens, car de telles planifications comme un projet d’études, une pratique écologique ou la recherche d’une pleine conscience exigent de l’individu qu’il prenne du recul et qu’il mobilise tout son Cortex Cingulaire Antérieur et, ce faisant, conjure les injonctions de l’instant présent sans cesse générées par le Striatum. En somme, des projets qui peuvent au grand dam de Graeber (2019) s’apparenter à des « jobs à la con », mais qui génèrent quelque chose comme ce que j’ai appelé les retombées du travail. En revanche, cet auteur marque un point lorsqu’il suggère de mettre l’accent sur des agirs pro relations interpersonnelles de proximité que l’Infotech a tendance à escamoter. Du coup, cela répond à une nouvelle tâche citoyenne qui émerge et que Susskind (2023) appelle le devoir de reversement à la collectivité.  

Dynamique (LA) 

Le boomerang déclenché par la mouvance conjointe de l’Infotech et de la Biotech revient à son point de départ faisant ressortir une activation exponentielle et bidirectionnelle des dynamiques intra-pôles et inter-pôles. Il y donc lieu de parler de LA dynamique Individu-Étude-Travail, c’est-à-dire avec un grand LA. 

 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre

 

Références 

Bohler, S. (2019). Le bug humain. Robert Lafont. 

Clavier, D. et Di Domizio, A. (2022). DICOcarrière. Human research. 

Dejours, C. (2015). Le choix. Souffrir au travail n’est pas une fatalité. Bayard. 

Graeber, D. (2019). Bullshit jobs. Les liens qui libèrent. 

Harari, Y. (2018).  21 leçons pour le XXIe siècle. Albin Michel. 

Henrich, J. (2019). Intelligence collective. Intermondes. 

Heslon, C. )2021). Psychologie des âges de la vie adulte. Dunod. 

Lemoine, G. 2008). « Par la Gand ‘porte » dans Limoges, J. (2008).   

Limoges, J. et coll. (2018). La Dynamique Individu-Étude-Travail. Qui plus est. 

Limoges, J. (2010). Un quatrième tiers de carrière? GGC. 

Limoges, F. (2008). Zoom sur la dimension LIEU de la recherche d’emploi. Septembre. 

Limoges, J. et coll. (2001). Trouver son travail. Fides. 

Loevinger, J. (1987).  Paradigms of personality. Freedman. 

Mercure, M. et Vultur, M. (2010). La signification du travail. PUL.  

Puel, H. (1979). Pour en finir avec le chômage. Ouvrières. 

Rousseau, C. (2004). Les compétences génériques. Compétences génériques AFC. 

Susskind. D. (2023). Un monde sans travail. Flammarion. 

Valaskakis, K. (2010). « La souveraineté supranationale : un impératif contemporain? » Prospective et stratégies, vol. 1. 

Zhavoronkov, A.  (2013). The ageless generation. Palgrave Macmillan. 

 

 

 

 

 

 

Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.
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Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.