L’ISEP et son labyrinthe de maux
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L’ISEP et son labyrinthe de maux

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À la suggestion de Caroline MORENCY, responsable du blogue OrientAction, voici un bref retour dans l’histoire de l’Information scolaire et professionnelle (ISEP) et de ses spécialistes au Québec.

Avant

En 1971, alors que j’en étais le président, l’Association des professeurs en orientation du Québec (l’APOQ, ancêtre de l’AQISEP), fut invitée à tenir un stand au Salon de l’avenir, Place Bonaventure à Montréal. Le but de ce stand était visiblement de promouvoir et de montrer l’importance de l’Information scolaire et professionnelle (ISEP) particulièrement auprès des jeunes.

Les années précédant ce Salon, l’Association avait mis l’accent sur les spécialistes en ce domaine (documentalistes, professeurs et conseillers) et sur les programmes tels qu’Éducation au choix de carrière (ECC).

Cette année-là, nous (Pierre PICARD, Lise ST-ARNEAULT et moi-même), décidâmes de mettre en scène l’envers du décors, c’est-à-dire de montrer les conséquences d’une absence d’ISEP et, pour ce faire, nous bricolâmes un labyrinthe C surmonté d’un dragon crachant le feu et produisant des sons cacophoniques – s’inspirant d’un sombre chemin de la croix fait de 14 stations abordant des sujets comme l’absence de projet scolaire ou professionnel (élève s’ennuyant dans un cours), le décrochage (élève avachi dans un divan devant son téléviseur), l’absentéisme (élève montrant une fragilité mentale errant dans quartier lugubre jonché de quelques seringues usées), le vandalisme (graffitis sur les murs, vitres cassées par terre). Ce chemin de croix se terminait par une 15e station, celle-ci propre, illuminée et luxuriante, indiquant comment l’ISEP apportait des solutions à ces problèmes, entre autres par une meilleure connaissance de soi, le développement de l’estime de soi, un usage plus judicieux du système scolaire, l’élaboration d’un projet d’orientation motivateur, une école milieu de vie, des relations plus personnalisées tant horizontalement que verticalement. À l’accueil de ce stand, les hôtesses et les hôtes invitaient les visiteurs à entrer dans ce labyrinthe tout en les mettant en garde sur le chamboulement que pourrait produire en eux ce chemin. Et au cours de la soirée consacrée aux commissaires d’école, l’équipe d’accueil fut renforcie et redoubla de zèle. Pas étonnant alors qu’à la compilation des fiches de satisfaction pour ce Salon, et en dépit de son allure plus qu’artisanale, notre stand figura tout en haut de la liste.


Dès années après, des études plus formelles, d’abord sur le décrochage scolaire puis sur la persévérance, confirmèrent nos hypothèses sur l’acceptation et l’estime de soi, sur le pouvoir motivateur d’un projet d’orientation et sur l’importance de faire de l’école un milieu de vie.


Pendant ce même mandat comme président, voyant les limites des cours obligatoires en ECC (car uniquement restreints à des groupes hyper-hétérogènes regroupant des élèves ayant des intérêts et besoins fort différents et sans aucune prise en compte de leur degré de maturité vocationnelle), l’APOQ présenta à Kathleen WHITE, sous-ministre au MEQ, de répartir la tâche des professeurs en orientation/ISEP selon trois tiers : un tiers du temps avec des groupes hétérogènes pour aborder des thèmes généraux comme la connaissance de soi, les opportunités qu’offrait un système scolaire polyvalent, l’importance des études tout au long de la vie; un autre tiers avec des groupes homogènes (cf. matière-carrières) pour présenter, par exemple, les possibilités de formations post-secondaires à un groupe faible en maths ou explorer les métiers et professions requérant des intérêts et des compétences en arts; un dernier tiers pour des accompagnements individuels afin de répondre à des questions très spécifiques ou pour rendre plus opératoire un projet scolaire ou professionnel.

Or, en ces temps pré informatiques, cela semblait ingérable pour le Gouvernement du Québec du fait que les spécialiste de l’ISEP étaient alors des professeurs c’est-à-dire des enseignants avec une seule et même convention collective et un seul même syndicat, et que cette nouvelle définition articulée en « tiers, tiers, tiers » comportait des tâches propres aux professionnels nonenseignants. Pourtant, souligna l’APOQ, il y avait un précédent en la matière, soit les professeurs-bibliothécaires. Pour trancher la question, Jean COURNOYER, alors ministre du Travail,  donna à l’OPOQ un ultimatum : représentez des enseignants ou des non-enseignants. Les membres de l’APOQ optèrent pour diverses raisons (salaire, syndicat, vacances) de demeurer des enseignants!

Mais ce statu quo ne fit qu’élargir et aggraver les désillusions de toutes les parties (élèves, parents, enseignants en ISEP, directions d’école, etc.) quant aux cours obligatoires à des groupes hétérogènes, ce qui fait que peu à peu, soit que l’ECC fut retirée de l’horaire (du moins au premier cycle du secondaire) ou qu’elle fut confinée à des enseignants n’ayant aucune formation en cette « matière » en vue de compléter leur tâche, ces derniers se repliant le plus souvent sur des exercices « papier-crayon » sans aucune personnalisation ni contextualisation. Ainsi, je me souviens que mon fils a eu à élaborer durant une année complète un plan de carrière à partir de son sport favori alors qu’il favorisait les sciences. Évidemment, la démarche qu’on lui « imposa » aboutit à une carrière sportive!

Maintenant

En 2005, une réforme du système scolaire mit fin à ce qui était convenu d’appeler les « petites matières » dont l’ECC, l’un des arguments étant de réduire pour un élève le nombre d’enseignants – essentiellement ceux des matières de base – afin de développer des relations plus significatives avec ceux-ci. Du coup, les objectifs et contenus de l’ECC furent répartis dans ces « grosses matières » selon le bon vouloir des titulaires de ces cours, le MEQ récupérant alors l’approche orientante promue par l’ordre des c.o. pour les encadrer.

Un certain retour du balancier s’est fait par la suite en introduisant dans le cursus des élèves le Domaine du développement professionnel, lequel inclut le Projet personnel d’orientation (PPO). Celui-ci demeure cependant optionnel et ne comporte aucune activité groupale visant à élargir, consolider et confronter ce projet pour stimuler l’entraide entre pairs.

Par ailleurs, la théorie de l’intelligence multiple ayant fait ses preuves en particulier pour contrer l’échec et le décrochage scolaires, il est inconcevable que les décideurs en éducation ne s’en inspirent toujours pas pour dédoubler les accès aux divers savoirs-compétences entre l’école traditionnelle et l’école alternative. « Quand il n’y a qu’une seule façon de faire, elle est mauvaise » (Limoges, 2001).

Aujourd’hui, en constatant le nombre et la précocité des épuisements professionnels d’une part;  d’autre part des divers décrochages professionnels dont les grandes démissions[2], il y aurait sans sans doute lieu de refaire le labyrinthe avec dragon et chemin de croix pour sensibiliser tant les travailleurs que leurs employeurs de la pertinence d’un projet de développement de sa carrière bien étayé grâce à l’accompagnement de professionnels experts en la matière.

De là l’importance de se développer professionnellement en tant que professionnel du développement de carrière (DDC) et recommandé l’AQPDDC.

Pour Caroline, il est essentiel que tous les apprenants (primaire, secondaire, FGA-FP), toutes les équipes-écoles et tout ceux qui gravitent autour des apprenants, peu importe leur âge et où ils sont dans leur histoire de vie, nous devons travailler tous ensemble, en collaboration avec une approche globale et en concertation, pour un écosystème É-S-F-C-T (École-Santé-Famille-Communauté-Travail) afin de bien soutenir l’humain dans son environnement (de l’entrée à la maternelle à la transition de l’âge adulte, et toutes autres transitions de la vie adulte).

[1] Concept inspiré du « guidance teacher » en vigueur aux É.-U.

[2] La Grande Démission (Great Resignation) est un ample phénomène de démissions professionnelles – souvent avec éclat ou fracas tel le « Bye Bye Boss » – qui a commencé aux États-Unis en 2020, à la suite de la pandémie de la COVID-19, lorsque des millions d’employés insatisfaits de leur travail ou de leur salaire ont quitté leur emploi. Les métiers de la restauration et du commerce furent d’abord les plus touchés , mais maintenant ce phénomène s’étant à toutes les sphères professionnelles, en particulier celles reliées à la performance, y compris dans les pays où l’éthique du travail est à son apogée comme au Japon.

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.  

 

Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.
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Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.