Après plus de douze ans à travailler dans un centre d’éducation aux adultes, me voilà conseillère d’orientation dans une école secondaire comptant plus de 1500 élèves. Près d’un mois s’est écoulé depuis mon arrivée dans ce nouveau milieu et j’ai déjà eu l’occasion de rencontrer plusieurs jeunes filles et garçons sympathiques, drôles, attachants. Si plusieurs ne savent pas encore dans quel programme de formation et métier spécifiques ils comptent s’investir, ils peuvent néanmoins nommer quelques pistes ou alors spécifier les secteurs qui ne leur conviennent absolument pas.
Nos rencontres permettent de préciser les contours de leur identité : leurs traits de personnalité, leurs forces dominantes, leurs valeurs, leurs champs d’intérêt. Vient ensuite le moment de faire un tour d’horizon du monde du travail. Parfois, c’est à ce moment que je constate que quelque chose coince et fait obstacle aux réflexions de la personne en lien avec son projet de vie future. En effet, certains adolescents rencontrés arrivent difficilement à se projeter dans un rôle professionnel, mentionnant de façon vague qu’ils ou elles « ne se voient pas vraiment faire ce métier-là ». Pourtant, les options considérées répondent à la plupart de leurs besoins et critères préalablement établis. Puis, lorsqu’on tente l’exploration d’autres grands domaines de professions, les élèves reviennent inévitablement au premier secteur ciblé qui semble remplir toutes les cases, mais dans lequel ils sont incapables de s’engager, de passer à l’action. Où se trouve donc la roche dans l’engrenage du processus décisionnel ?
Les croyances en lien avec le processus de choix : une piste à explorer
Les conseillers d’orientation sont des professionnels de la relation d’aide et des spécialistes du choix… et de ce qui peut y faire obstacle. Ils disposent donc d’un éventail d’hypothèses à explorer pour comprendre ce qui fige la personne dans ses réflexions. L’une de ces pistes est de discuter avec la personne de la façon dont elle conçoit et se représente son choix de carrière. On peut ainsi questionner la personne dont l’état d’indécision se prolonge pour savoir si elle croit :
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- qu’elle doit être à 100 % certaine de ses décisions scolaires et professionnelles avant de passer à l’action;
- qu’il n’y a qu’un seul « bon » choix de carrière pour cette personne et que sa mission consiste à chercher et à reconnaître cette « âme sœur » professionnelle;
- que les décisions en lien avec la carrière ne se font qu’à l’adolescence et qu’une fois qu’on a choisi un programme de formation et un métier, on exercera forcément ce dernier toute notre vie durant;
- qu’il ne faut surtout pas se « tromper » de choix, sinon les conséquences seraient catastrophiques.
À la lecture de ces énoncés, on peut aisément comprendre qu’à force de se représenter le processus de choix de carrière comme une décision ponctuelle, capitale et irréversible, la personne devient terrifiée par l’ampleur de la question et préfère demeurer immobile plutôt que de prendre position (prendre le « risque » de choisir).
Pour s’extirper de ces pièges décisionnels, il faut s’exercer à questionner et à recadrer ses croyances pour en adopter d’autres plus réalistes et, surtout, qui nous permettent de réfléchir à notre projet de vie adulte avec un peu plus de sérénité.
Le document suivant, rédigé par Isabelle Falardeau, constitue un outil pouvant accompagner cet exercice de recadrage : Six fausses croyances liées à son orientation.
Tout maîtriser pour se sentir à l’aise de décider?
À cette liste de croyances paralysantes en lien avec le choix de carrière, j’ajouterais celle-ci, que je rencontre fréquemment chez les adolescents et dont il est question au début de cette chronique :
« Je dois choisir un métier pour lequel je possède déjà l’ensemble des compétences requises »
Lorsqu’un élève a circonscrit les choix de carrière qui correspondent davantage à son identité et à ses besoins et qu’il semble être parvenu à trouver le meilleur compromis possible, s’il « ne se voit toujours pas » exercer cette profession, je le questionne sur les images qui lui viennent en tête lorsqu’il réfléchit et se projette en plein exercice de ses tâches de plombier, infirmier, ingénieur, etc.
La semaine dernière, un élève a répondu à la question ainsi :
« Je ne me vois pas être charpentier-menuisier, car, quand j’imagine faire ce métier, je m’imagine fixer une poutre qui n’est finalement pas assez solide et qui fait s’écrouler tout le bâtiment. Je ne sais pas comment fixer des poutres solidement. Je ne peux donc pas faire ce métier. »
Ici, l’adolescent en processus de choix adopte la croyance qu’un choix de carrière est légitime que si nous sommes déjà expert et pleinement compétent dans le domaine ciblé. Toute image ou vision de lui-même qui ne reflète pas cette pleine maîtrise est synonyme d’une erreur de trajectoire. Il suffit généralement de présenter le curriculum d’un des programmes de formation menant à l’exercice du métier, avec l’ensemble des cours et compétences enseignées, pour que l’élève se sente rassuré.
Il est aussi utile de présenter la distinction entre talents, connaissances et compétences. Le talent représente une manière naturelle de penser ou de se comporter. Ce sont les forces que nous possédons, souvent depuis notre enfance, et qui nous distinguent de nos pairs. Par exemple, une jeune femme peut se rendre compte qu’elle est douée et beaucoup plus à l’aise de communiquer en public que ses amies, mais que d’autres ont plus de facilité qu’elle à comprendre les émotions des autres (empathie) ou à mener à terme de longs projets fastidieux (discipline). Ces talents tout comme les traits de personnalité, les valeurs, les champs d’intérêt, et les besoins font partie des morceaux de casse-tête à considérer et à assembler pour obtenir un portrait plus clair de notre projet de vie future. Les connaissances et les compétences, quant à elles, ne sont pas présentes d’emblée. Ce sont des éléments, des pièces du puzzle que nous devons aller chercher par le biais de lectures, de formations, de coaching. Bref, si la personne déclare être proactive (talent), avoir une bonne endurance physique (aptitude), aimer travailler dehors et bouger constamment (intérêt, besoin), il y a là des bases pertinentes supportant une carrière possible dans le secteur de la construction. Pour ce qui est d’être capable de « fixer une poutre solidement », les 1350 heures de formation prescrites dans le diplôme d’études professionnelles (DEP) en charpenterie-menuiserie sauront certainement apporter cette connaissance et compétence pratique.