Ressources et formations

L’intervention par… la nature et l’aventure

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Cet article fait partie de la série « Les CJE, une richesse d’approches et d’expertises », une initiative du Réseau des carrefours jeunesse-emploi du Québec. Son objectif est de mettre de l’avant la passion, le professionnalisme et l’ingéniosité des intervenants et intervenantes des carrefours jeunesse-emploi à travers le Québec en jetant la lumière sur leurs expertises et les approches novatrices, surprenantes et diversifiées. 

Ce mois-ci, Louis-Donald Gaudet, intervenant psychosocial par la nature et l’aventure au CJE Matawinie, nous explique ce qui caractérise cette approche et nous détaille ses nombreux bienfaits. Il nous présente aussi le programme Esprit d’Aventure, qu’il a développé dans son CJE. 

Décris-nous ce type d’approche. Comment se définit-elle? Quelles en sont les grandes caractéristiques? 

Les interventions par la nature et l’aventure (INA) « […] sont basées sur l’idée qu’il est possible de faciliter des apprentissages, des changements de comportements ou encore de traiter des maladies ou des troubles de santé qui pourraient être de nature physique ou psychologique à travers l’utilisation d’activités d’aventures en milieu naturel dans un contexte d’apprentissage expérientiel en groupe » (Mercure, 2021). 

Les INA se distinguent en trois catégories, soit récréative, éducative et thérapeutique. Dans le contexte des CJE, l’INA passe tantôt de la catégorie récréative à éducative, en misant sur les aspects développementaux. Ce qui distingue une INA d’une activité de plein air proprement dite, c’est le fait qu’il y a présence d’une intentionnalité, laquelle sera élaborée dans un programme d’intervention structurant. En adéquation avec les besoins de la clientèle, ce programme cherchera à répondre à des objectifs développementaux clairs, qui seront traduits en activités spécifiques sur le terrain. Les INA de type thérapeutique, quant à elles, doivent être tenues et facilitées seulement par des membres de l’Ordre des psychologues du Québec.  

Comment utilises-tu cette approche dans tes interventions au CJE? Dans quel contexte? Auprès de quel public cible? 

L’INA est une approche qui convient à tout type de clientèle, mais demande une bonne analyse de ses besoins et de son niveau de condition physique et psychologique, ainsi que l’assurance de la compétence des intervenants dans un contexte à risque tel que le plein air. Bien analyser les besoins aide à respecter la zone proximale de développement, soit l’adéquation entre le niveau de risque et la capacité de la clientèle, permettant de générer des apprentissages et des compétences de manière positive.  

Dans le cadre de mon travail d’intervenant en employabilité et intervenant d’INA, j’ai tôt fait de constater que la clientèle de mon CJE (18 à 35 ans) avait besoin de développer son autodétermination (motivation), ses sentiments d’auto-efficacité (croyance en sa compétence, croyance en sa capacité à accomplir des tâches), de développer son sentiment d’appartenance et d’avoir des outils pour prendre soin de sa santé physique et psychologique.  

L’INA pouvait devenir un levier pour répondre à ces besoins dans le cadre d’un programme structurant. De cette analyse est né notre programme d’INA : Esprit d’Aventure. Celui-ci s’échelonne sur une période de douze mois et est divisé en quatre volets, contenant des activités spécifiques d’intensité graduelle, permettant aux participants de progresser dans un cadre sécurisant et soutenant : 

  • Volet 1 : Bien-être par la relation à la nature   
  • Volet 2 : Habiletés d’autonomie en milieu sauvage   
  • Volet 3 : Persévérance en sports de plein air   
  • Volet 4 : Consolidation des acquis au cours de trois expéditions 

Une fois par semaine, les participants sont donc conviés en nature pour se connecter à elle en expérimentant le sit spot1 par leurs cinq sens, ou pour arpenter les dénivelés du sentier national de la Matawinie en randonnée, pratiquer leur coup de pagaie sur la rivière L’Assomption ou pour passer du temps dans notre abri en dôme et apprendre à faire du feu sans briquet. 

À la fin d’une séquence de trois mois, les jeunes sont invités à participer à une expédition pour consolider leurs acquis, vivre une expérience significative en groupe et célébrer leurs efforts soutenus. Suivant le niveau d’agentivité des participants, il est possible qu’ils puissent prendre part à l’élaboration de l’expédition. Au menu : choix du sport de plein air, choix du niveau et du nombre de jours, cartographie et itinéraire, élaboration des repas, etc. L’entièreté du programme amène les participants à développer de nouvelles compétences transférables à la résolution de leurs défis et objectifs du quotidien. Ces compétences sont également transférables à l’employabilité et à la persévérance scolaire. 

Quels sont les avantages et les défis (points de vigilance) de l’adoption d’une telle approche? 

Il a été prouvé que la nature a des effets bénéfiques sur la santé en général, que ce soit au niveau physiologique par la réduction du stress, au niveau psychologique avec des effets positifs sur la dépression et l’anxiété ou au niveau cognitif avec la restauration de l’attention.  

L’aventure par ses dimensions d’inconnu et d’imprévisibilité, provoque chez les participants une dissonance cognitive (Gargano, 2020), les amenant à devoir s’adapter et mobiliser des capacités internes pour s’ajuster à la situation. Lorsque le défi est en adéquation avec la capacité d’adaptation des participants, ces aventures permettent de générer des apprentissages. Puisque ces apprentissages sont nécessairement expérientiels, les participants les plus sensoriels ou kinesthésiques, hyperactifs ou ayant un TDA, tireront profil de l’aspect concret et pratique de ces apprentissages dans l’action. À l’aide d’une bonne facilitation effectuée par les intervenants, les apprentissages peuvent être mis en lumière et transférés au vécu quotidien des participants. Finalement, puisque l’INA se fait en groupe, par l’aspect technique des sports de plein air, par l’entraide au campement le soir et aux résolutions de problèmes constantes que l’aventure amène, des compétences interpersonnelles sont développées. 

En ce qui concerne les autres compétences développées au cœur des INA, je cite Virginie Gargano (2022; Ph.D., professeure, École de travail social et de criminologie de l’Université Laval) : 

«…sur le plan personnel : a) la conscience de soi (Behrens, 2008; Garst, Scheider et Baker, 2001; Perier, Pérouse de Montclos et Moro, 2012), b) l’estime et la confiance en soi (Davidson, 2001; Kaly et Heesacker, 2003; Norton, 2008), c) le sentiment d’auto-efficacité (Behrens, 2008; Davidson, 2001; Harrison et McGuire, 2006), d) la résilience (Beightol, Jeverston, Gray, Carter et Gass, 2009) et e) le sentiment de contrôle et de pouvoir personnel (Cross, 2002; Ross, 2003; Sugerman, 2005). Certaines études ont aussi établi que l’INA pouvait contribuer à l’augmentation du bien-être général (Faarlund et coll., 2007; Harper, 2009; Norton, 2008; Stott et Hall, 2003) et à la diminution de symptômes relatifs à des problématiques psychosociales (Bettman, Russell et Kimber, 2013; Harper et Russell, 2008; Norton, 2008). Des effets ont également été relevés sur les symptômes dépressifs, la stabilité de l’humeur (Norton, 2008), les performances académiques (Behrens et Satterfield, 2007; Norton, 2008), la consommation de drogues (Harper et Russell, 2008) et la récidive criminelle (Gass et Gillis, 2010). 

Au plan interpersonnel, le développement du leadership (McKenzie, 2003; Sibthorp, 2003; Stott et Hall, 2003), le développement des habiletés sociales (Goldenberg et Pronsolino, 2008; Sibthorp, 2003) et de stratégies d’adaptation (Bettman et coll., 2012) sont des effets bien documentés (Miles et Priest, 1999; Priest et Gass, 1997; Sugerman, 2005). Il en est de même avec certains aspects du fonctionnement de la famille, tels que la communication intrafamiliale et les relations parent-enfant (Harper, 2009; Harper et Russell, 2008). » 

Au niveau des défis, le contexte de nature et d’aventure reste un environnement que l’on doit toujours considérer à risque, du fait de son caractère imprévisible et parfois de son aspect géographiquement éloigné. Une expérience du terrain et une formation (AEC en tourisme d’aventure) sont pertinentes, ou l’obtention de brevets d’encadrement suivant les disciplines prévues (canot, randonnée, escalade, etc.). Il est primordial d’avoir le niveau d’expertise nécessaire pour être conscient des risques inhérents au plein air et ainsi élaborer un plan de gestion de risque exhaustif. Finalement, il est important de bien déterminer les besoins de la clientèle et son niveau de capacité physique et psychologique pour obtenir un apprentissage sain et non de la précipiter vers des échecs dangereux et mal calculés. 

As-tu des outils ou ressources à partager pour ceux et celles qui aimeraient aller plus loin? 

Si les CJE souhaitent être autonomes en INA, des formations telles que le diplôme d’études supérieures spécialisées en INA (UQAC), des programmes courts (UQAM, UQTR) ou AEC (cégep de Baie-Comeau) sont offerts partout au Québec. Par ailleurs, des organismes tels que Face aux Vents peuvent s’occuper de la prise en charge de tels projets.  

Dans l’éventualité où la formation ne serait pas une option pour votre CJE, le plein air de proximité reste un bon compromis. À ce moment, de petites formations telles que Secourisme en région éloignée (SIRIUS) et des brevets d’encadrants, délivrés par les fédérations de plein air (Canot Kayak Québec, Rando Québec), permettent aux intervenants d’acquérir les connaissances nécessaire pour encadrer un groupe en secteur périurbain.  

Finalement, il est aussi possible d’obtenir un service clés en main d’accompagnement au développement d’INA pour les CJE, offert par le CJE Matawinie et moi-même. Nous pouvons nous déplacer pour offrir une conférence sur l’INA, analyser les besoins du milieu, élaborer un programme avec les intervenants, élaborer un plan de gestion de risque, offrir un encadrement sécuritaire et faciliter les apprentissages sur le terrain avec les intervenants. 

Principales références : 

Gargano, V. (2022). « Les pratiques centrées sur la nature et l’aventure et le travail social: perspectives disciplinaires et théoriques ». Intervention, (155), 151-165. 

Mercure, C., Tranquard, M. et Mepham, D. (2021). « Les interventions en plein air à l’Université du Québec à Chicoutimi » (Canada), Nature et Récréation, 10, 49-60. 

 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.   

Bachelier en psychosociologie des relations humaines, diplômé d’un DESS en intervention par la nature et l’aventure (INA) et possédant une expérience en plein air de plus de 25 ans, Louis-Donald œuvre à connecter les gens à eux-mêmes, aux autres et à la nature. Il affectionne particulièrement tout ce qui a trait à la pédagogie de relation réciproque avec la nature et au bien-être y étant lié. En plus d’encadrer et de faciliter des projets d’INA divers, dont avec le Collège de Maisonneuve, il est actuellement intervenant en INA pour le CJE Matawinie à Saint-Jean-De-Matha. Il a lancé une communauté de pratique pour les intervenant.e.s de CJE qui utilisent l’INA dans leur milieu et cherche sans cesse des manières de faire valoir cette pratique, afin qu’elle soit plus reconnue et soutenue, autant chez les gestionnaires qu’auprès du gouvernement.
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Bachelier en psychosociologie des relations humaines, diplômé d’un DESS en intervention par la nature et l’aventure (INA) et possédant une expérience en plein air de plus de 25 ans, Louis-Donald œuvre à connecter les gens à eux-mêmes, aux autres et à la nature. Il affectionne particulièrement tout ce qui a trait à la pédagogie de relation réciproque avec la nature et au bien-être y étant lié. En plus d’encadrer et de faciliter des projets d’INA divers, dont avec le Collège de Maisonneuve, il est actuellement intervenant en INA pour le CJE Matawinie à Saint-Jean-De-Matha. Il a lancé une communauté de pratique pour les intervenant.e.s de CJE qui utilisent l’INA dans leur milieu et cherche sans cesse des manières de faire valoir cette pratique, afin qu’elle soit plus reconnue et soutenue, autant chez les gestionnaires qu’auprès du gouvernement.
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