Si un problème a une solution, il est inutile de s’en inquiéter; s’il n’en a pas, s’inquiéter n’y changera rien! (Proverbe Tibétain)
Apprendre à accompagner
Nos métiers d’aide motivent à apprendre tout au long de la vie, que nous soyons un professionnel passionné ou qu’un ordre professionnel nous y oblige. Dans le rétroviseur s’alignent les perfectionnements qui contribuent, avec l’expérience et les bilans, à construire notre expertise. La professionnalisation, c’est un peu ça.
La technique que je partage avec vous est utile pour accompagner le client qui s’acharne, bien qu’il n’exerce aucun contrôle sur la situation, ou pour accompagner le client qui se résigne, bien qu’il pourrait modifier la situation en sa faveur.
Le doute qui motive
Plusieurs techniques se targuent d’être nouvelles. Est-ce toujours le cas? Je doute. Le doute est mon métier. Après une formation en counseling de carrière, j’aimais tant apprendre que, sans me prendre au sérieux, et en travaillant à temps plein, et avec une magnifique progéniture, j’ai complété une maîtrise, puis un doctorat, puis la scolarité d’un autre doctorat, et des grades en toutes sortes de méthodes et techniques pour accompagner… jusqu’à (re)douter.
Déçue par les fondements clairsemés de certains cours, loin de me résigner, j’ai pris le taureau par les cornes en quête de réponses : Comment se fait-on du bien depuis 6000 ans, sans comprendre comment ça marche? Traquer l’origine des compétences des métiers de l’aide, m’a menée en Chine, en Jordanie, en Égypte, à Jérusalem, en Inde, etc. Il ne sera pas question de recherche ici, sauf pour communiquer mon vertige face à ce palimpseste enchâssé de savoirs, de pratiques et de traditions au carrefour de la philosophie, de la psychologie, de la cognition, de l’éthologie et des neurosciences.
Ce billet vise à partager une des stupéfiantes techniques (re)découvertes en chemin : Accompagner à faire face.
Que ferait le logique Marc-Aurèle?
L’empereur romain Marc-Aurèle (121-180 après J.-C.) confrontait les événements à l’égard des valeurs que ses maîtres stoïciens lui ont enseignées : vivre dignement, être juste, contribuer au bien commun, agir avec bienveillance envers chaque personne. Le stoïcisme est cette attitude fondamentale que l’homme devrait avoir face à la vie. Pour résumer, le stoïcisme est une philosophie gréco-romaine qui explique que nous n’avons pas le contrôle de tous les événements qui nous affectent, mais que nous pouvons néanmoins gérer la manière dont nous envisageons ces événements. Ce que les neurosciences modernes valident par ailleurs.
À l’époque de Marc-Aurèle, être stoïque ne signifiait pas être de glace ou cruel; c’était être courageux et faire face à la réalité. On attribue à Marc-Aurèle, la Prière de la sérénité, prière qu’ont choisie et que récitent les Alcooliques anonymes (AA). La voici : «Mon Dieu – ou Univers, selon vos croyances / Donnez-moi la sérénité / D’accepter / Les choses que je ne puis changer / Le courage / De changer les choses que je peux / Et la sagesse / D’en connaître la différence.» Comment se servir de la logique de Marc-Aurèle pour accompagner?
Protocole simplifié
J’examine ce quadrant avec le client (pas cadran, bien qu’il donne l’heure juste). Je dirige subtilement mon index vers la case où «peut-être» loge le client, au regard de sa description de sa situation et de ses stratégies. Rapidement, le client désigne lui-même la case qu’il déduit lui correspondre. J’observe que le client s’apaise lorsqu’il mesure son pouvoir sur ce qui l’afflige, et déduit ce qui est logique de faire (ou pas).
Claude est anéanti depuis que son amoureuse est décédée. Une année s’est écoulée depuis. Il a laissé son travail, ne sort plus… Où loge Claude dans ce quadrant? Que ferait notre nouvel ami Marc-Aurèle pour l’accompagner, par exemple, de l’acharnement vers le lâcher prise?
Conclusion
S’arrêter pour réfléchir, épargne des ennuis et parfois sauve une vie. Je ne peux agir que sur ce que je contrôle. Lorsque je fais face à des difficultés, je peux trouver des solutions et agir, endurer et trouver des excuses, ou lâcher prise si la situation échappe à mon contrôle. La logique de Marc-Aurèle sert à accompagner un client prisonnier d’une spirale, afin qu’il balise ce qui l’afflige, saisisse sur quoi il exerce (ou pas) du pouvoir, se résigne ou agisse, s’acharne ou lâche prise, pour s’écrier, tel Jules César (49 av. J.-C) : «J’ai fait ce qui est en mon pouvoir, advienne que pourra!»… Alea, jacta, est!
Références principales
- Clément, É. (2011). La pratique de la philosophie de A à Z. Paris : Hatier, 480 p.
- d’Ortun, F. (2016). Comment on se fait du bien depuis 6000 ans sans comprendre comment ça marche. Manuel scientifique, 139 p.
- d’Ortun, F. (2016). Relation d’aide. Documentation du cours enseigné à l’Université.
- Nicchi, S. (2005). Stratégies de faire face, Bulletin de psychologie, no 475, p.97-100.
- Lazarus, R. (1993). Coping theory and research, Psychosomatic medicine, no 55, p.234-247.
- Pigliucci, M. (2017). The philosophy of Stoicism. TED lessons.
- Skinner, E., Edge, K., Altman, J., Sherwood, H. (2003). Searching for the structure of coping. Psychological Bulletin, 129(2), p.216-269.