La société tout entière semble en pleine reconversion, en mutation et ce phénomène social contribue à modifier notre regard sur la reconversion à l’échelle individuelle. Les méthodes et techniques se comptent par centaines et leur nombre continue d’augmenter. Il y a donc des changements au sein même du processus d’accompagnement de carrière selon les courants, les conceptions auxquels se réfèrent les professionnels ainsi qu’en fonction des buts et outils.
Une demande initiale de conseil en reconversion professionnelle évolue parfois vers une nécessité de reconversion de soi. Parallèlement une reconversion de soi peut conduire à une demande de reconversion professionnelle. Parfois, l’analyse de cette demande initiale fait apparaître une problématique qui amène le conseiller ou la conseillère à formuler un conseil en reconversion de soi pour faciliter le changement de métier ou de posture professionnelle.
La reconversion, c’est quoi? La reconversion est un changement. La reconversion de soi est d’abord un changement de regard et en premier lieu un changement de regard sur soi. Cela implique une prise de conscience de soi. En second lieu, c’est un changement de regard sur son environnement. Cela suppose cette fois une prise de conscience de son environnement.
Ce changement de regard sur soi et sur son environnement peut provoquer une volonté, une nécessité de changer de métier. Il peut aussi bien réveiller un désir plus ou moins conscient d’aborder différemment le même métier. Une demande de reconversion professionnelle et un désir de reconversion de soi se confondent parfois dans une grande clarté ou au contraire dans la confusion. Un changement de métier sans réflexion sur soi peut ne pas combler les véritables attentes alors qu’un changement de regard sur soi peut ouvrir de meilleures perspectives dans le même métier comme dans un autre secteur ou un autre métier.
Je partage l’idée de Catherine Negroni, idée selon laquelle un des enjeux majeurs de la reconversion professionnelle est la transformation du changement subi en liberté acquise. Si la reconversion professionnelle peut être subie, la reconversion de soi est choisie, soutenue, acceptée donc conscientisée. La reconversion professionnelle et de soi est à la fois provoquée et acceptée. Elle peut être l’issue d’une révolte face à de multiples dysfonctionnements de l’environnement professionnel (restructuration d’un service, contexte d’insécurité, censure de l’expression et des désaccords, freins à l’initiative, perspective de licenciement, mauvaises relations au travail, rémunération insuffisante, baisse trop forte d’activité ou au contraire hausse trop brutale de l’activité, etc.). Elle peut être provoquée par des éléments personnels (âge, santé, famille, déménagement, évolution personnelle, quête de nouvelles valeurs, désir d’épanouissement, de renouvellement, de rompre avec une situation professionnelle pénible, etc.).
La reconversion de soi modifie d’abord la qualité de l’expérience subjective dans son travail.
Ce changement de cadre extérieur peut contribuer à modifier son regard sur soi et sur sa propre histoire professionnelle. Mais la seule reconversion professionnelle ne modifie pas en soi la qualité de l’expérience subjective au travail. La reconversion de soi implique d’abord un changement d’attitude qui ouvre de nouvelles perspectives, une nouvelle image de soi, de nouveaux horizons, un nouvel état d’esprit, de nouvelles actions, une nouvelle conscience, de nouveaux comportements au travail ici/maintenant et dans le futur.
Ce changement d’attitude est principalement motivé soit par une réaction de révolte et une recherche d’évitement d’une situation professionnelle assujettissante, aliénante, dégradante, d’insécurité, dysfonctionnelle soit par un idéal, une quête, une recherche d’épanouissement, de bonheur, de croissance, de bien-être, de sens, d’authenticité, de satisfaction narcissique, d’équilibre au travail.
Cette notion de reconversion de soi réintroduit l’importance de la subjectivité dans le travail, de la subjectivité de l’expérience donc de choix par opposition à l’homme-machine ou l’homme-objet. Elle réintroduit également les notions de valeurs, de dynamique intra-personnelle, de liberté intérieure et de dynamique interactionnelle avec le milieu.
Cette vision de la reconversion accorde autant d’importance aux conditions de travail extérieures qu’au cadre subjectif dans lequel l’activité est exercée. Cette expérience subjective de quête de soi se traduit par de nouveaux rapports intra-personnel et interpersonnel au travail, par une réévaluation de l’interdépendance, du sens donné au travail et à sa vie professionnelle, par une réduction voire une rupture de certaines dépendances au travail.
Ce changement peut se manifester par une crise, par une rupture amenant une nouvelle qualité d’expérience professionnelle et de nouvelles satisfactions et libertés au travail. Cette crise révèle des valeurs impératives de renouvellement, d’autonomie, de respect, de bien-être, de sens, de nouvel équilibre au travail. Cette reconversion de soi est fondamentalement un changement de son histoire, une déviation de sa trajectoire, une prise en main de son destin passant par un meilleur accès à l’expérience positive de soi.
Comme l’acte de se réaliser revient à naître à soi selon Michel Lacroix, la reconversion de soi peut être vécue comme une naissance, comme l’acte de naître à soi. « Naître à soi » revient à accéder à une nouvelle conscience de soi, à une nouvelle image de soi, au sens et à un goût nouveau de la vie en soi. La reconversion de soi pourrait se résumer à renoncer au renoncement de soi autrement dit à se rencontrer et à prendre la responsabilité de sa vie professionnelle en particulier.
La formation de soi manque cruellement dans nos systèmes de formation. Cette formation de soi reste un sujet tabou et parfois méprisé à l’intérieur même des systèmes de formation initiale et continue. Les conséquences tant individuelles que sociales de ce manque de formation de soi seraient à évaluer dans notre contexte d’accélération du changement social.
La reconversion de soi exige souvent une solution éducative, c’est-à-dire un temps long d’apprentissage et de découverte de soi pour qu’elle réponde à ses promesses de changement positif. En paraphrasant Bertrand Vergely, il paraît évident que cette reconversion de soi conduit vers un autre destin, vers des exigences plus élevées et une quête plus profonde.