Bien assise devant mon écran, je suis partagée entre l’excitation que suscite cette nouvelle aventure et la perplexité face à sa pertinence. Qui suis-je pour solliciter ces échanges, pour proposer mes réflexions, pour faire appel à vos questionnements autant qu’à vos expertises, pour provoquer peut-être des débats fructueux?
Conseillère d’orientation, d’abord et avant tout, je suis coordonnatrice des programmes au Centre de ressources en employabilité Montréal centre-ville (CREMCV), un OBNL en employabilité du centre-ville de Montréal. Donc au cœur de ce brassage de cultures qui fait partie de l’ADN de cette ville depuis sa fondation. Depuis les vingt dernières années, les personnes issues de l’immigration constituent la majorité des participants à nos programmes.
Est-ce que le fait d’être exposés, d’être en contact avec la diversité, fait de nous des professionnels plus ouverts, plus compétents et plus efficaces?
J’enseigne aussi à l’UQAM, au Baccalauréat en développement de carrière, le cours de « Counseling en contexte pluriethnique ». Chaque étudiant en DDC est jumelé à un étudiant du Certificat en français langue seconde. L’objectif est de provoquer cette RENCONTRE, dans un environnement juste assez sécuritaire et juste assez confrontant pour susciter des apprentissages sur sa propre culture professionnelle, en premier lieu, et pour développer leur sensibilité à la dimension culturelle dans leurs interventions.
Est-ce que le fait d’avoir réussi/enseigné le cours de 45 heures fait de nous des experts de l’intervention interculturelle?
La réponse à ces deux questions vous appartient, mais pour moi, outre mes responsabilités en tant que praticienne qui se veut réflexive, chaque rencontre avec l’Autre fait partie de mes plus belles aventures professionnelles. La bienveillance, la patience et la pédagogie de mes clients et collègues continuent de nourrir mon enthousiasme et de multiplier les occasions d’apprentissage.
C’est donc à cette aventure que je vous convie. Et pour commencer « léger », je vous propose quelques réflexions sur LA DISCRIMINATION.
Comment parler de discrimination
Dans l’espace public, nous sommes de plus en plus fréquemment amenés à parler de discrimination pour la définir, la quantifier, décrire ses effets, la déplorer, voire la dénoncer. Cependant, lorsqu’elle s’invite dans notre bureau, au sein de notre organisation, dans nos activités de professionnels de la carrière, un malaise s’installe qui fait en sorte que, trop souvent, nous sommes tentés d’éviter le sujet.
Pour nous sentir plus à l’aise avec cette réalité détestable, il peut être utile de définir le terme. L’article 10 de la Charte québécoise des droits et des libertés pose les balises sans toutefois jamais la nommer explicitement puisque la définition de la discrimination émane de la jurisprudence :
« Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur … » quatorze motifs suivent dont la race, la couleur, la religion, l’origine ethnique ou nationale, qui nous concernent ici davantage.
L’article 16 poursuit ainsi : « Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi ». L’article 17 se rapporte aux associations professionnelles. (1)
Parler de discrimination avec nos clients
Nous voilà renseignés. Mais quand, pour la centième fois, une cliente nouvellement arrivée nous fait part de ses espoirs de trouver un travail à la hauteur de ses compétences « parce qu’ici c’est un pays où on respecte les gens pour ce qu’ils sont, pas pour la couleur de leur peau », comment faire pour amortir le choc des inévitables expériences de discrimination qui la menacent? Nous sommes souvent tentés de croiser les doigts et de la laisser repartir sur son nuage rose. Surtout que cette image de notre société respectueuse des droits de la personne est très flatteuse. Plus ou moins consciemment, nous écartons les informations connues de tous sur les difficultés d’intégration économique des nouveaux arrivants.
Le sujet n’est pas vraiment plus simple quand ce sont nos clients qui l’abordent en décrivant des situations vécues, sans toutefois oser la nommer. « Lors de l’entretien téléphonique, tout s’est bien passé, l’employeur avait l’air enthousiaste. À la réception, quand il m’a accueillie, j’ai bien vu sa surprise. L’entrevue n’a duré que quelques minutes, puis il m’a dit qu’il me rappellerait. Depuis, plus rien. Qu’est-ce que je dois penser de cela? ». Difficile d’éviter la question, pour la cliente, comme pour sa conseillère. Mais tant qu’on ne nomme pas « la chose » c’est comme si on pouvait encore l’éloigner. Généralement, la principale source de malaise est notre sentiment d’impuissance.
Personnellement, j’aborde souvent le problème par ses solutions. En s’inscrivant dans l’OBNL où je travaille, les clients remplissent un formulaire où ils doivent s’auto-identifier comme faisant partie d’une minorité visible, nationale, femme, autochtone ou personne handicapée. C’est l’occasion d’aborder les Programmes d’accès à l’égalité en emploi (2). Ils sont là pour contrebalancer les impacts de la discrimination systémique. Parce que la discrimination existe ET qu’elle est socialement inacceptable. J’explique les recours, bien qu’imparfaits, surtout pour m’assurer que la cliente puisse mettre des mots sur son expérience. Et si il s’avérait, pour qu’elle connaisse ma position face à cette situation, qu’elle peut aborder ce sujet avec moi. Et, enfin, qu’elle sache que dans une société de droit, elle a des ressources.