Le débat présentement en cours quant à la pénurie de préposés(es) aux bénéficiaires (PAB) dans les CHSLD nous interpelle tout particulièrement à titre d’intervenants(es) en développement de carrière. Il y a lieu de réfléchir sur cette problématique afin de mieux répondre aux personnes qui nous questionneraient à ce sujet.1
Ce que nous enseigne l’histoire
Ainsi, il est très instructif – et troublant – de voir qu’à travers l’histoire et jusqu’à aujourd’hui les principales stratégies utilisées pour gérer de telles pénuries de main-d’œuvre, particulièrement en vue de combler des fonctions ou des postes peu attrayants pour des raisons comme la salubrité (ex.: sanitaires, soins corporels), la pénibilité (ex.: extractions minières, récoltes), la charge émotionnelle (ex.: maladies contagieuses, accompagnement en fin de vie), le peu de qualification requise ou le manque de prestige (ex.: paires de bras), etc. Voici douze ordres de stratégies; autant d’injonctions et d’argumentaires bien ciblés.
Selon que les stratégies sont imposées (déterminées) ou choisies, négatives ou positives, elles peuvent être agencées pour constituer un grand V; la branche gauche représentant les stratégies minimalistes voire même plus ou moins avilissantes psychologiquement donc avec une propension négatives (plus le point s’éloigne du centre, plus ce verdict est élevé) alors que la branche droite de ce V regroupe les stratégies perçues comme actualisantes et optimalisantes donc comme étant en principe plus ou moins positives.
Évidemment, ce tableau reflète la vision élémentaire et simplifiée d’un observateur externe. Ainsi, le « camp de concentration » est donné comme exemple à titre de stratégie imposée certes, mais surtout en tant que stratégie très négative. Pourtant les Anne FRANK et Martin GREY ont témoigné du caractère positif de cette expérience « de travail », tout au moins après un certain recul! De même, la stratégie d’ordre héréditaire est indiquée comme très positive alors que ces dernières années, un prince nommé HENRY a exprimé publiquement son désarroi quant à la fonction de duc! Dans de tels cas, ces deux branches se referment vers le centre.
Et puis, il y a ce dicton entendu personnellement chez un réfugié de la mer (boat people) : « Quand on ne peut faire ce que l’on aime, on peut toujours aimer ce que l’on fait », dicton qui, dans une certaine mesure, reflète bien notre travail en développement de carrière; soit celui de rendre significative – donc plus positive – une situation de travail apparaissant dans un premier temps comme négative, par exemple, lorsqu’on accompagne une personne avec un handicap intellectuel dans une pratique occupationnelle. Pour ce faire, nous avons entre autres recours à des approches systématiques comme celle tenant compte de l’ensemble des retombées du travail et de leur étalement sur les divers sous-projets de vie tels que proposés par GOGUELIN et KRAU (1982) : projet économique (besoin d’avoir), projet social (besoin de pouvoir), projet affectif (besoin d’aimer) et projet de développement personnel (besoin d’être).
De nos jours; le diplôme plancher
Il est à noter que les stratégies classées au départ comme négatives sont encore largement utilisées de nos jours. Ainsi, une vision économiste de l’éducation au Québec fait ressortir le fait que l’exigence d’un diplôme de 5e secondaire génère une main-d’œuvre bon marché qui n’a guère d’autres choix pour survivre que d’assumer des emplois non qualifiés, souvent précaires, et pour qui les savoirs lire/écrire/compter acquis durant ces 11 années de scolarité sont davantage utiles pour gérer leur exclusion (assurance-emploi, « bien-être social », etc.) que pour assumer leur inclusion socioprofessionnelle!
Et il en est de même pour de nombreux préalables exigés à l’admission dans certaines filières, surtout dites contingentées, alors que la pertinence scientifique de tel ou tel préalable est souvent faiblement voire nullement démontrée. Ainsi, on exige ici des « notes fortes en maths » pour aller en médecine alors qu’en Chine cette exigence n’est nullement requise comme l’a constaté le Dr. LAZURE, ex-politicien et ex-président de la Société Canada-Chine lors d’une mission dans cet « empire du milieu »! En revanche, toujours au Québec, les recherches de l’équipe du linguiste Gérard-Rayon ROY révèlent que la maîtrise du français écrit est le meilleur prédicteur d’une formation médicale complétée.
Enfin, pour s’assurer d’un bon clivage de la main-d’œuvre7, le diplôme « plancher » est modifié au besoin. Ainsi, au début de l’ère industrielle, il fut établi à une 9e année alors que ces dernières années, marquées par une pénurie généralisée de main-d’œuvre, il fut mis quelque peu entre parenthèses8 ou atténué par des reconnaissances d’acquis. En revanche, en France dans les années 80, on a eu recours à la promotion du Bac plus 2 (donc 14 années de scolarité) pour, à court terme, contrer un haut taux de chômage et pour, à moyen terme, mieux affronter l’ère post-industrielle.
Quoiqu’il en soit, il est clair que dans le présent débat quant à une pénurie de PAB, toutes les stratégies imposées sont inacceptables tant par les personnes concernées que par les décideurs et toute la collectivité.
Miser sur les retombées du travail ou approche carriérologique
Au risque de me faire accuser d’avoir une idée fixe9, je crois que les sept retombées du travail peuvent être également un atout important dans la résolution de ladite pénurie d’autant plus que certaines d’entre elles sont déjà mises de l’avant par divers décideurs : gouvernement, syndicats, associations professionnelles.
Changer d’appellation
Le dictionnaire définit Préposé(e) comme une personne qui accomplit une fonction déterminée, généralement subalterne. L’équivalent anglais, soit « employee », me semble encore plus flou! Cependant, comme le démontre le Dictionnaire Septembre des métiers et professions, cette appellation est largement répandue dans de multiples secteurs : préposé à l’emballage, préposé à l’équipement de sport, préposé au traitement des données, etc. En Europe, les PAB sont appelés des aides-soignants(es).
Des éléments trouvés ici et là dans divers prospectus sur Internet permettent cependant de mieux cerner la tâche des PAB : Le PAB aide les bénéficiaires ayant des besoins de base en matière de toilettage et de pansement, et administre des médicaments. Tout au long de ces tâches de routine, il maintient la relation avec le bénéficiaire en gardant un œil sur tout changement dans son état physique, émotionnel ou mental. Il communique le statut du bénéficiaire, surtout les changements, périodiquement à un superviseur immédiat. L’histoire, encore une fois, nous indique qu’un changement d’appellation peut devenir une source de fierté et faire œuvre de conscientisation. On qu’à penser aux croque-morts qui tour à tour sont devenus embaumeurs puis thanatologues. Aujourd’hui, ils font l’objet d’une téléréalité, Les croque-morts!