Getting your Trinity Audio player ready...
|
Psychologie de la retraite1
Sous la direction de Christian HESLON, Even LOARER et Jean-Luc BERNAUD
Une recension annotée2
Mobilisant 17 auteurs et s’appuyant sur une bibliographie anglophone et francophone de 22 pages3 ainsi que sur des comptes rendus de recherches et d’expérimentations, cet ouvrage synthèse fait le tour des savoirs actuels des dimensions psychologiques de la retraite : enjeux et phases de la transition emploi-retraite, âgisme et « intergénérationalité », typologie des retraites, nouveaux rôles pour les retraités, dont le bénévolat et la « grandparentalité », centralité du travail, nouveaux rapports au temps, etc. Pour une large part, ces 350 pages font le lien et surtout l’étayage et la validation de connaissances déjà existantes, mais souvent très parcellaires et éparpillées. Par exemple, une section importante du chapitre 7 développe ce que j’avais esquissé comme les 7 retombées du travail4.
Par ailleurs, alors qu’une recherche-action m’avait5 amené à déterminer l’acquisition de deux nouveaux savoirs au troisième tiers de carrière, soit savoir-rester et savoir-partir, le chapitre 12 explore à fond les enjeux de la prise de décision quant à la retraite pour conclure en proposant un modèle à quatre dimensions (push, pull, anti-push, anti-pull) et quatre niveaux de satisfaction. Ce chapitre propose une grille d’analyse des situations actuelles et futures au regard de l’emploi, qui pourrait intéresser plusieurs lecteurs.
Des dispositifs d’accompagnement vers ou lors de la retraite sont esquissés, certains évalués. La plupart de ces prestations sont individuelles et totalisent autour d’une dizaine d’heures d’entretien généralement en présentiel.
S’appuyant toutes sur la psychologie existentielle, ces prestations mettent l’accent sur les valeurs et le sens donc essentiellement sur l’intra personnel.
Il s’ensuit que la phase Action n’est guère élaborée et encore moins solidarisée entre pairs, et accompagnée. Quelques dispositifs groupaux ayant des objectifs, contenus et durées similaires sont également expérimentés et présentés sans s’attarder aux dynamiques inter et extra personnelles qu’elles génèrent ainsi qu’aux techniques d’animation qu’elles nécessitent6. En revanche, que ce soit en individuel ou en groupe, la complexité et l’intensité émotive des enjeux mentionnés plus haut, militent, selon les auteurs, pour un accompagnement professionnel qui privilégie, entre autres, l’approche rogérienne centrée sur le client.
À mon grand étonnement, on fait ici et là dans ce livre référence à une seconde retraite, c’est-à-dire la fin de vie, alors que j’ai maintes fois entendu des Français exprimer un grand inconfort face au mot legs comme dans Cercle de legs professionnel du fait que ce terme est spontanément associé à la mort et au deuil. Comment expliquer ce virement? Peut-être parce que matériellement parlant le legs insinue un détachement, voire une perte. Or d’un point de vue psycho vocationnel, le legs signifie dans les faits un plus, voire un gain.
Deux chapitres abordent la formation continue des travailleurs/salariés séniors pré et post retraités. Alors que le chapitre 7 traite des nouvelles « compétences » et des nouveaux rôles à acquérir pour compenser la perte des retombées du travail, donc aborde les « quoi », le chapitre10 a recours à des approches phénoménologiques pour dégager les différents enjeux et stades de ce que l’auteur appelle la « deuxième partie de la vie » et pour mettre en évidence les nombreux obstacles à l’éducation et la formation de cette tranche d’âge. Ce chapitre s’attarde donc aux « pourquoi et comment » de la formation continue et se termine en proposant des « actions positives » comme l’inclusion et l’inter générativité à tous les niveaux organisationnels. Étonnamment, ce texte ne fait aucune mention à la gérontologie, en particulier aux études en neuroscience démontrant clairement que les ainés (travailleurs ou retraités) apprennent autrement et qu’il importe d’en tenir compte sans quoi toute formation en leur direction est vouée à des résultats plus que mitigés7.
Dans la littérature et le discours actuels, le côté sombre de la prise de retraite est presque toujours escamoté8. Cette ombre est ici abordée une première fois dans les chapitres 2 et 3, où il est question de défi existentiel et de crise identitaire occasionnant un « mal-vivre de l’épreuve de la retraite » ainsi que par la mention d’un sondage9 auprès de retraités et de préretraités.
Appliqués à la France, ces pourcentages donnent 900 000 personnes! Ce côté sombre est une autre fois abordé, avec beaucoup de courage selon moi, car sujet éthique tabou, lorsque les auteurs abordent le consumérisme sénior, puissant générateur de GES (déplacements aériens, croisières luxueuses), ainsi que l’accentuation des inégalités, par exemple Nord-Sud (hôtels de luxe, personnel « autochtone » sous-payé et profits non-réinvestis localement).
Comme bien d’autres, surtout depuis la fin des 30 glorieuses, j’ai mis en doute la linéarité du modèle planétaire de Riverin-Simard tout en reconnaissant pour l’essentiel la justesse des caractéristiques et des stades qu’elle associe à chacune de ces planètes. Ainsi, j’ai10 démontré que ce qu’elle avait appelé la planète Retraite n’était en fait qu’un satellite que j’ai surnommé Retrait, qui décrit une double ellipse autour des autres planètes faisant en sorte que des choses aussi disparates que la retraite classique, le mentorat, les études post-carrière, le décrochage et le chômage avaient un dénominateur commun : ébranlement de l’estime de soi, perte des repères sociotemporels, etc. Or, dans leur dernier chapitre, soit le 13, la codirection de cette publication va plus loin dans un futur se mettant déjà en branle en décrétant tout de go la fin de la Retraite et en transformant ce qui en reste en de « petits » répits qu’on peut éparpiller tout au long de la vie. Du coup, ladite linéarité avec ses trois planètes serait rendue caduque11; les éléments qui les composaient surviendraient dans une vie dans l’ordre ou le désordre formant de mini-cycles et l’importance de ces éléments serait relativisée au point où le travail-carrière serait réduit à n’être qu’une activité, voire une occupation comme une autre. Si la conjoncture actuelle du monde du travail en ce premier quart de siècle rend plausible cette interprétation, je crois comme les Bolder, Graeber, Harari, Hendrich et Susskind qu’avec le recul du temps, il y aura une certaine forme de retour du balancier quoique brouillant grandement la démarcation entre le travail-emploi et les autres sphères de l’existence.
Que ce soit pour soi-même et pour ses clients séniors ou éventuellement séniors, ce livre mérite une lecture approfondie et tant mieux si cette lecture suscite échanges et recherches. De toute évidence cet ouvrage fera référence et j’en félicite les auteurs!
Références :
[1] Dunod, 2024. [2] Comme il s’agit d’un billet de blogue, j’y ferai ici et là quelques allusions à mes travaux et conceptions. [3] Je suis le seul Québécois y figurant, donc aucune mention, par exemple, de Riverin-Simard en dépit de ses nombreuses publications scientifiques sur le sujet, en particulier quant à la bascule dans les intérêts au mitan et quant à la formation continue. Une autre explication de cette absence est avancée dans ce texte.Soit dit en passant, il me semble que depuis que la France s’investit dans la construction de l’Europe, les échanges franco-québécois n’ont cessé de décroitre. Une des raisons pourrait être que pour obtenir des financements de l’Union européenne, les chercheurs français doivent généralement mobiliser au moins 2 autres des 27 états de cette union, ce qui n’est pas une mince affaire : cultures, langues, déplacements, etc. Alors, ajouter le Québec alourdirait significativement ce processus.
[4] Limoges, J. 1987. Trouver son travail. Fides. [5] Limoges, J.2004. Pour un troisième tiers de carrière porteur de vie. GGC éditions. [6] Pour en savoir plus, voir Limoges, J. 2014. Le potentiel groupal. Septembre. [7] Kramer, D. 1987. « Cognition and aging: the of a new tradition » P. Silverman (Ed.) The Elderly as Modern Pioneers. Indiana University Press.Leclerc, G. 1977. « Les capacités d’apprendre de la personne âgée ». Colloque sur le vieillissement cognitif normal et pathologique, Institut universitaire de gériatrie.
Schaie, K. 1996. « Intellectual development in adulthood ». J.E. Birren Handbook of the Psychology of Aging. Fourth Edition. Academic Press.
[8] Dans les années 80, lors d’une émission à Radio-Québec [aujourd’hui Télé-Québec], sur le vécu de personnes ayant bénéficié d’une retraite anticipée, j’avais été invité comme expert. Or durant toute la première partie, les participants n’avaient que d’éloges et de reconnaissance pour ce nouveau mode de vie. À la pause, je leur exprimai mon étonnement quant à ce consensus, moi qui venais d’écrire sur les phases du chômage. Alors on me répondit qu’ils se considéraient comme choyés par la société et que, par conséquent, ce serait inconcevable de parler ici de mal-être tout en m’avouant en vivre. [9] Apouey, B. 2022. “Conditions of existence and subjective perceptions of retirement”. Aging and society, 42(3) 564-567. [10] Limoges, J. 1999. « L’expérience du retrait comme forme de brouillage en gestion de carrière » Éducation permanente, no. 128. [11] Donc adieu Riverin-Simard!
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.