Une question existentielle peut nous conduire vers une issue positive
Marché du travail

Une question existentielle peut nous conduire vers une issue positive

Temps de lecture : 4 minutes

La fameuse théorie des choix de carrière de John Holland suggère aux personnes de faire des choix de carrière en cohérence avec leur personnalité. Un type de personnalité correspond à un type d’environnement et réciproquement. De même, le modèle de l’autoconcordance, fondée sur la théorie de l’autodétermination (TAD), conseille aux personnes de sélectionner des objectifs personnels qui correspondent à leurs champs d’intérêt et à leur motivation autonome. Des indices verbaux et non verbaux peuvent nous renseigner sur le degré de correspondance entre une personne et ses objectifs de carrière.

En 2019, une équipe de quatre chercheurs a comparé l’efficacité prédictive des deux théories dans deux études d’étudiants de premier cycle, en utilisant les six dimensions du modèle de Holland (RIASEC : Réaliste, Investigateur, Artistique, Social, Entreprenant et Conventionnel) comme base commune. L’étude numéro 1 a montré que la mesure Holland et un score global d’autoconcordance prédisent le résultat de la variable « choix de carrière actuels ». Ces effets ont été reproduits dans l’étude numéro 2. Des analyses supplémentaires ont montré que la sous-échelle de motivation identifiée était la principale source de ces effets.

La motivation identifiée peut être définie comme la motivation d’un individu qui fait siennes des raisons externes mêmes désagréables parce qu’il les trouve suffisamment importantes et valorisantes pour s’identifier à elles.
 Ainsi, les psychologues, conseillers, coachs et autres professionnels en développement de carrière, les conseillers d’orientation au Québec, les psychologues de l’éducation nationale en France pourraient évaluer l’autoconcordance chez les étudiants pour les six dimensions RIASEC, en particulier leur niveau de motivation identifiée pour ces dimensions, en plus de définir leur code Holland (les 3 premières lettres du RIASEC).

Pourquoi ne pas aller plus loin? Les DRH, les chargés de recrutement et autres assistants en ressources humaines pourraient évaluer l’autoconcordance chez leurs candidats et pourquoi pas leurs propres objectifs personnels et organisationnels? Toute personne pourrait évaluer l’autoconcordance entre sa personnalité et ses objectifs. La typologie de Holland peut donc être approfondie en l’associant au continuum de motivation. Un objectif sera d’autant plus satisfaisant qu’il comblera un ou plusieurs besoins psychologiques tels que la sécurité, l’autonomie, la compétence, l’affiliation et l’estime de soi. 

Pour combler nos besoins, la TAD nous suggère d’améliorer la qualité de notre motivation : 

  1. L’amotivation ou la démotivation correspond à une absence de régulation. 
  2. La régulation externe renvoie à la motivation extrinsèque, qui, elle-même, se réfère à des raisons externes telles que la recherche d’approbation sociale, les pressions sociales, les récompenses, les punitions, notamment l’argent. 
  3. La régulation introjectée comprend la motivation d’un individu qui a intériorisé les contraintes externes et qui tente d’éviter l’anxiété, des sentiments de culpabilité, de honte, mais aussi d’accroître son esprit compétitif, voire son égo. 
  4. La régulation identifiée peut être définie comme la motivation d’un individu qui fait siennes des raisons externes mêmes désagréables parce qu’il les trouve suffisamment importantes et valorisantes pour s’identifier à elles. 
  5. La régulation intégrée permet à un individu de s’approprier des raisons externes d’agir parce que ces actions lui correspondent, parce que ces actions ont du sens pour lui et qu’elles lui permettent d’être satisfait. 
  6. La régulation autodéterminée renvoie à la motivation intrinsèque, qui, elle-même, repose sur des impulsions telles que le plaisir et l’intérêt. 

Le continuum part de la motivation la moins autodéterminée pour aller vers la plus autodeterminée. L’application de la TAD consiste à la fois à réduire l’amotivation et à augmenter la motivation autodeterminée. 

Revenons sur la matrice de décision, abordée dans le billet Les trois vitamines du développement de carrière, représentant un existentialisme pratique, car elle permet de distinguer non seulement les objectifs intrinsèques des objectifs extrinsèques, mais également de connaître les raisons internes ou externes de nos choix. Sheldon suggère de nous intéresser aux raisons qui nous poussent à faire des choix extrinsèques (argent, beauté, prestige) et des choix intrinsèques (intimité, croissance, sens). En effet, nous pouvons très bien choisir un objectif extrinsèque (l’argent par exemple) pour des raisons soit intrinsèques (l’argent peut faire partie des valeurs de votre consultant/client/bénéficiaire par exemple) soit pour des raisons extrinsèques (l’argent lui permet d’épater la galerie).

Inversement, nous pouvons choisir un objectif intrinsèque (maintenir une relation intéressante par exemple) pour des raisons soit extrinsèques (briller en société par exemple) soit pour des raisons intrinsèques (ressentir du plaisir et de l’authenticité dans cette relation, autrement dit, de l’intimité, du sens, voire de la croissance réciproque). Inutile de vous faire un dessin, je crois, pour savoir où se situent les possibilités de croissance et de bien-être durables! 

Matrice de décision issue du modèle de l’autoconcordance :
Autrement dit, le « quoi » (objectifs) et le « pourquoi » (raisons) 

  Raisons autoconcordantes  Raisons non concordantes 
Objectifs intrinsèques     
Objectifs extrinsèques     

Ainsi, nous pouvons amener certains de nos consultants/clients/bénéficiaires à se questionner différemment sur leurs choix de carrière, à aller plus loin dans l’analyse de leur processus de décision s’ils sont indécis ou insatisfaits par leur choix. Un objectif ou un projet peut sembler approprié, alors que ce n’est peut-être pas le cas en réalité.  

Même si la raison s’avère désagréable (motivation identifiée), une question de nature existentielle sur la raison d’un choix peut nous conduire vers une issue positive ! 

 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre. 

Références : 

Bernaud, J.-L. (2021). Traité de psychologie existentielle : Concepts, méthodes et pratiques. Éd. Dunod. 

Carbonneau et coll. (2016). La théorie de l’autodétermination. Aspects théoriques et appliqués. Éd. De Boeck.  

Kaufman, S. B. (2021). Transcend. The new science of self-actualization. Paperback edition.  

Limoges, J. (2021). Je m’aide quand nous nous aidons. S’entraider, un potentiel incommensurable. Éditions Jacques Limoges.  

Sartre, J.-P. (1976). L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique. Éd. Gallimard. 

Sheldon, M. K. (2014). « Devenir soi-même : le rôle central du choix d’objectifs autoconcordants. » Dans Voyage au pays du développement de carrière. (Boualleg, 2019. Ed. Enrick. B). Annexe 2. P305-340. Traduction et diffusion autorisée par auteur.  

Sheldon, M. K., Holliday, G, Titova, L. and Benson, G. (2019). « Comparing Holland and Self-determination Theory Measures of Career Preference as Predictors of Career Choice. » Journal of Career Assessment.  

Psychologue de l’éducation nationale spécialisé en éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle, Laurent exerce en France dans un centre d’information et d’orientation. Depuis 20 ans, il accompagne tout type de public notamment les scolaires. Il a passé une année en qualité d’étudiant au Département d’orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke pour peaufiner ses compétences opérationnelles. Il mesure chaque jour la portée transculturelle d’un counseling au service de l’orientation et du développement de carrière. Il partage son expérience de l’accompagnement via l’écriture et la formation.
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Psychologue de l’éducation nationale spécialisé en éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle, Laurent exerce en France dans un centre d’information et d’orientation. Depuis 20 ans, il accompagne tout type de public notamment les scolaires. Il a passé une année en qualité d’étudiant au Département d’orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke pour peaufiner ses compétences opérationnelles. Il mesure chaque jour la portée transculturelle d’un counseling au service de l’orientation et du développement de carrière. Il partage son expérience de l’accompagnement via l’écriture et la formation.
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