Mieux se connaître grâce au temps perdu sur nos écrans
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Mieux se connaître grâce au temps perdu sur nos écrans

Temps de lecture : 5 minutes

Je ne sais pas vous, mais moi, quand je me réveille, mon premier (mauvais) réflexe, c’est d’attraper mon téléphone. Soit pour éteindre mon réveil ou pour aller jeter un œil aux réseaux sociaux. Et mis bout à bout, ces consultations express (plus ou moins express, d’ailleurs) prennent du temps. On a tous déjà loupé un bus/rendez-vous/autre, happés par les minividéos de Facebook! Au Canada, nous passons en moyenne 7,9 heures par jour devant un écran (télé, téléphone, tablette) en dehors du travail, soit à peu près autant qu’à dormir!*
Alors que cherchons-nous de ces heures d’inactivité apparente, affalés dans un sofa, les yeux rivés sur un point fixe, le visage éclairé par la lumière bleue? S’agit-il de temps définitivement perdu ou pourrions-nous en tirer des informations sur nos envies et nos projets?

Au cours de mes accompagnements, j’interroge fréquemment mes clients sur ce à quoi ils consacrent ces fameuses 7,9 heures. Leurs réponses m’aident souvent à mieux comprendre leurs besoins. Aussi, je vous propose trois pistes d’intervention en lien avec les écrans.

 

1 – « Mes loisirs… je joue aux jeux vidéo », le classique des 18-35 ans

Ils arrivent dans nos bureaux le pas traînant et parfois moyennement enthousiastes, encouragés par un éducateur ou un parent. J’aime beaucoup nos premières rencontres qui résonnent de deux discours : celui des adultes encadrants, et le leur. Le second étant souvent bien discret par rapport au premier.

Pour aller chercher leur « vrai soi », j’aime explorer leurs loisirs. Lorsqu’il s’agit de jeux vidéo, j’y vais franchement :

Le premier avantage de cet échange est que cela renforce le lien de confiance : ils apprécient m’expliquer des choses et que je ne sois plus celle qui-sait-ce-qu’ils-pourront-faire-plus-tard.

Ensuite, c’est un moyen idéal pour comprendre les rôles qu’ils aspirent à prendre. Il existe une variété assez impressionnante de jeux vidéo : de gestion (les Sims !), d’aventure, de stratégie, de MMORPG (traduction : jeu de rôle en ligne massivement multijoueur; soit une sorte de mini société virtuelle), de sport, d’action, etc. Dans les accompagnements, même si je n’y ai jamais joué, mes jeux vidéo préférés sont les jeux de rôles (World Of Warcraft, Dofus). J’ai observé que les personnages adoptés par les joueurs en disent souvent long sur leurs aspirations et le niveau de stimulation qu’ils cherchent.

  • Est-ce un rôle de stratégie? Il a une vue d’ensemble et cherche les meilleurs angles d’attaque.
  • Est-ce un rôle de combattant? La première ligne qui « va au contact », est prête à se débattre, veut gagner, mais accepte aussi de perdre.
  • Est-ce un rôle de soutien? C’est un profil que je retrouve souvent chez ceux qui aspire à aider dans leur vie professionnelle.
  • Est-ce un rôle de leader?
  • Est-ce un rôle de gestionnaire? Des capacités d’organisation sous-jacentes.

 

Au cours de l’accompagnement, j’aime refaire le lien avec ces rôles appréciés et expliquer comment les attitudes et habiletés développées en jeux vidéo sont applicables à leur vie professionnelle. Cela peut être l’occasion d’explorer les obstacles que rencontrent les clients : ce rôle que tu arrives à prendre dans le monde virtuel, qu’est-ce qui t’empêche de le prendre au quotidien? Ou encore quels sont les éléments de ce monde virtuel que tu aimerais intégrer à ta réalité?

 

2 – Séries, maïs soufflé et projections

On ne présente plus Netflix et ses talentueuses techniques pour nous faire dévorer une série de quatre saisons en une soirée. Lorsqu’un client me dit qu’il aime regarder des séries, voici comme je procéder :

  • D’abord, demander pourquoi il aime ça. De nombreux facteurs entrent en jeu : la détente, l’esthétisme, le domaine, les acteurs.
  • Ensuite, explorer le type de film ou série apprécié. Y a-t-il un domaine récurrent?
  • Et les personnages qui l’inspirent, quelles valeurs véhiculent-elles?
  • Puis je demande s’ils ont déjà eu un métier ou un domaine coup de cœur dans un film? J’insiste sur le fait qu’un coup de cœur n’a rien de raisonnable, que l’enjeu est d’explorer la dimension qui leur plaît spécifiquement. Par exemple, on peut à 40 ans avoir un coup de cœur professionnel pour un rôle d’astronaute, alors qu’on sait pertinemment que ça ne sera pas notre projet de reconversion. L’intérêt est d’investiguer qu’est ce qui attire : l’engagement intégral? La rigueur scientifique? L’exotisme astronomique?

Encore une fois, vous l’aurez compris nos choix vidéographiques en disent beaucoup sur nos projections, et nos projections en disent beaucoup sur nos aspirations!

 

3 – Instagram, Facebook, TikTok, YouTube… j’en veux plus!

Je pense que vous avez compris le mécanisme d’exploration de fond et n’êtes pas surpris que les réseaux sociaux nous aident aussi à explorer nos projections par l’entremise de nos intérêts. Toutefois, j’ai observé que les réseaux sociaux s’associent à d’autres phénomènes ayant un impact direct sur l’estime de soi,  et je vous propose de l’illustrer avec plusieurs cas clients.

  • L’idéalisation du travail

Louis arrive dans mon bureau en me disant qu’il veut devenir entrepreneur à son compte; il rêve de lancer sa start-up, de solliciter des investisseurs, de travailler dans des cafés et surtout de ne plus avoir de supérieur! Il écoute beaucoup de balados sur ce thème, et suit de nombreux entrepreneurs sur LinkedIn et Instagram.

Louis décide d’explorer en contactant des entrepreneurs pour mieux comprendre leur réalité. À notre rencontre suivante, c’est la douche froide. La vision qu’il s’est construite a omis toute une partie de la réalité : instabilité financière, lassitude face aux démarches commerciales; frontière entre vie personnelle et professionnelle difficile à marquer. Tout ce qui n’est pas très glamour pour les réseaux sociaux!

  • L’oubli de l’effort

Lorsque j’interroge Marilyn sur un métier qu’elle souhaite faire, elle me parle de devenir vendeuse de formation en ligne. Elle me dit regarder les vidéos YouTube d’un entrepreneur qui vit dans une somptueuse villa à Bali et vend des vidéos de marketing. « Il est jeune comme moi et gagne quasiment 10 000 $ par mois », me dit-elle. Je propose à Marilyn d’aller regarder le profil de ce formateur. Nous constatons rapidement qu’il crée des vidéos depuis plus de 10 ans, que sa villa change d’une vidéo à l’autre (serait-elle louée pour des tournages?) et que sa formation n’est pas reconnue par une institution externe (université, entreprise). Pour Marilyn, la plus grosse prise de conscience sera dans le fait que les millions d’abonnés du formateur sont au prix de nombreuses années de vidéos produites gratuitement.

En effet, on passe facilement devant des contenus de quelques secondes extrêmement soignés et esthétiques, sans se rendre compte qu’ils ont demandé des heures de travail!

  • La jalousie portée par le culte de l’esthétique

Très vite au cours de notre premier entretien, Kevin me dit qu’il passe trop de temps sur TikTok et qu’il sent que ça ne lui fait pas du bien. Je lui demande les émotions qu’il ressent et assez rapidement, il nomme la jalousie. Parfois, il rentre du travail dans un bus surchauffé qui contraste avec le froid glaçant hivernal tout en regardant des vidéos de plages de sable blanc et de mer translucide. L’exercice que je propose quand la jalousie apparaît, c’est de réfléchir en termes de besoins à combler plutôt qu’en copier-coller. Qu’est-ce qui me donne envie dans ces plages : la nature? la chaleur? l’exotisme? la détente? le repos? Une fois le besoin déterminé, il devient possible d’y répondre selon sa propre réalité. Si Kevin a besoin d’évasion, peut-être qu’une simple promenade en forêt lui fera tout autant de bien, à moindre budget.

En somme, ces trois exemples montrent l’importance d’apporter des nuances aux aspirations très brutes que peut traduire notre utilisation des réseaux sociaux.

 

En conclusion : les écrans, oui. Mais avec des actions qui suivent!

Les écrans sont parfaitement adaptés pour exploiter nos projections, mais attention aux angles morts! Analyser ce que ce temps sur écran nous inspire doit être un moyen d’affiner notre vision du monde d’une part;  surtout nous aider à ajuster nos actions hors écran, d’autre part.

Bonnes explorations!

 

Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.

 

SOURCES :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/648507/canadiens-disent-passer-pres-de-90-pour-cent-temps-libre-devant-un-ecran-selon-sondage

 

Sophie est conseillère en développement professionnel
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