Jeune, j’ai côtoyé plusieurs des adultes significatifs qui faisaient occasionnellement référence à un mentor ou maître, voire à un directeur de conscience. Cette ressource référentielle s’incarnait généralement dans une personne, quelques fois aussi dans un groupe de personnes ou tout simplement dans des écrits. Il semblait y avoir entre cette ressource et l’adulte en question, quelque chose de sacré, de presque ésotérique voire d’obscur dans le sens alchimique du terme. Cette relation transcendait le temps long et, le plus souvent, menait une forme de fusion de visions et de voies à parcourir. À la limite, cette relation impliquait une soumission presque totale de la part de la personne mentorée ou du disciple.
Je suis de la génération à qui on a dit « Si tu rencontres Bouddha, tue-le » ce qui revenait à dire : deviens toi-même bouddha (un éveillé), c’est-à-dire ton propre mentor ou maître ! Mais pour mener à terme un tel mandat, les avis de sages s’avéraient encore nécessaires et précieux. Alors, comme Jean Houston, je suis devenu attentif à des évocatrices et évocateurs, c’est-à-dire à des personnes de mon entourage –souvent un peu plus avancés en âge que moi– qui voyaient les choses autrement et ces autrements avaient une résonnance pour moi, du moins pour un certain temps. Pour reprendre partiellement un exemple biblique, souvent sans le savoir, ces personnes cheminaient près de moi ou vice versa pendant une certaine durée et, comme Jésus accompagnait incognito les disciples sur le chemin d’Emmaüs et comme pour ceux-ci, le simple fait qu’une évocatrice ou qu’un évocateur soit là –même si ce n’était que mentalement– évoquait pour moi des choses qui s’avéraient une guidance lumineuse. Ainsi, la dimension obscure s’atténuait partiellement. Après un certain temps, nos voies généralement se séparaient et cela était bon, du moins pour moi. En contrario, je sais que je fus un évocateur pour certaines personnes de mon entourage, posture que j’ai essayé d’assumer le plus dignement possible.
Or aujourd’hui, avec la généralisation des médias sociaux, apparaissent pour les nouvelles générations les influenceuses et influenceurs. Ici rien de très sacré et, si obscurité il y a, elle sera davantage au service de la personne influençante (par exemple prendra la forme d’algorithmes révélant les points réceptifs de ses disciples) que pour l’influencé. Le phénomène est trop nouveau pour se faire une idée claire de l’évolution de cette relation dans le temps. Voyons voir!