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Faibles niveaux de littératie : obstacles aux droits individuels et collectifs

Temps de lecture : 3 minutes
Littératie et politique : un enjeu négligé

Depuis le début de la campagne électorale fédérale, certains thèmes semblent être devenus les sujets de prédilection de tous les chefs des principaux partis politiques. Pensons notamment à la question de l’environnement, de l’immigration ou encore à l’affaire SNC-Lavalin. Alors que certains groupes apostrophent les partis politiques, les invitant à se positionner davantage sur la question de la littératie, ces appels semblent avoir été peu entendus. Or, la lutte contre les faibles niveaux de littératie est un enjeu qui devrait interpeller tous les partis, en raison de ses impacts sur les droits individuels et collectifs. Selon Chantal Ouellette, professeur titulaire au Département d’éducation et de formation spécialisée de l’Université de Montréal, l’enjeu, autrefois davantage débattu, aurait perdu de sa popularité au tournant des années 2000 1. Fait déplorable puisque le problème de littératie demeure et ne s’est pas amélioré depuis les dix dernières années, si l’on se fie à une enquête internationale menée en 2013 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), selon laquelle 1 Québécois adulte sur 5 éprouve des difficultés majeures en lecture 2.

Des conséquences multiples

Selon nous, il ne fait aucun doute qu’il existe une corrélation entre littératie et pauvreté. « Plus les personnes vivent des situations de pauvreté, plus leur niveau de littératie est bas, appuie Virginie Larivière, co-porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté. Lequel est la cause, lequel est la conséquence, c’est difficile à établir, mais il y a un lien indéniable entre les deux. »3

Le contexte économique et la mobilité de la main-d’œuvre sont également des raisons de s’inquiéter de ces niveaux de littératie bas puisqu’il existe également un lien important entre littératie et employabilité. Selon une étude de 2018 réalisée par l’économiste Pierre Langlois pour la Fondation pour l’alphabétisation et le Fonds de solidarité FTQ, parmi les personnes en situation de chômage, environ 60 % se situent sous le troisième des six niveaux de compétences en littératie. Langlois conclut son rapport en montrant que de s’attaquer à cette situation permettrait aux deux ordres de gouvernement de réaliser d’importantes économies annuelles en réduisant, entre autres, les prestations d’assurance-emploi4.

Plus encore, dans le contexte actuel de transformation du marché du travail, la question du lien entre littératie et mobilité de la main-d’œuvre se pose. L’introduction des technologies de l’information dans toutes les sphères et dans toutes les étapes des processus de production transformera inévitablement la plupart des emplois. Qu’arrive-t-il le jour où quelqu’un perd son emploi ou que celui-ci se transforme, dans le domaine manufacturier par exemple, et doit se « recycler » et se retrouve dans une situation où seuls des emplois qui nécessitent de lire et d’écrire lui sont offerts? Ce niveau insuffisant de littératie devient alors un handicap rendant la réorientation plus difficile.

Un faible taux de littératie engendre aussi d’autres conséquences, qui elles, sont moins visibles, mais tout autant pernicieuses. « Un bon niveau de littératie permet de faire des choix éclairés que ce soit du point de vue de ses dépenses mais aussi de sa santé et de son alimentation », ajoute Larivière. Un faible niveau de littératie impacte donc la capacité à trouver un emploi et à le garder, mais empêche d’abord et avant tout la capacité de développer une pensée critique. On comprend ainsi comment cela peut faire obstacle à l’engagement social et citoyen. Beaucoup, incapables de comprendre le monde politique qui les entourent, n’osent pas prendre leur place en société, s’engager, s’exprimer, y compris en s’abstenant d’exercer leur droit de vote. Dans le contexte actuel des élections fédérales, il en résulte qu’une partie de cette population demeure invisible et par conséquent moins représentée.

Faire de la littératie une priorité stratégique

Indéniablement, les conséquences d’un faible taux de littératie sont multiples et souvent invisibles. Il s’agit d’un enjeu dont les implications sont sévères et profondes, un enjeu qui touche des aspects fondamentaux de notre société. Pour ces raisons, il y a une nécessité de la part des partis politiques de s’engager à faire de la littératie une priorité de la campagne électorale fédérale; il en va de la possibilité pour tous et toutes d’exercer pleinement leurs droits5.

 

[1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1122453/alphabetisation-litteratie-carte-quebec-canada-ocde

[2] https://www.ledevoir.com/societe/education/561978/litteratie-des-profils-heterogenes

[3] https://www.ledevoir.com/societe/education/561981/la-litteratie-pour-lutter-contre-la-pauvrete

[4] https://www.ledevoir.com/societe/education/561978/litteratie-des-profils-heterogenes

[5] https://www.ledevoir.com/societe/education/561979/un-droit-fondamental

Eva Jomphe Author
Détentrice d’une maîtrise en résolution de conflit de l’Université Amsterdam et possédant des expériences éducatives et professionnelles dans cinq pays différents, Eva est chargée de projets pour la Coalition des organismes communautaires pour le développement de la main-d’œuvre (COCDMO). La mission principale de la COCDMO est celle de combattre l’exclusion sociale et professionnelle des citoyennes et citoyens laissés en marge du développement économique et social, en visant la pleine reconnaissance de l’accès à la formation et du droit au travail.
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Eva Jomphe Author
Détentrice d’une maîtrise en résolution de conflit de l’Université Amsterdam et possédant des expériences éducatives et professionnelles dans cinq pays différents, Eva est chargée de projets pour la Coalition des organismes communautaires pour le développement de la main-d’œuvre (COCDMO). La mission principale de la COCDMO est celle de combattre l’exclusion sociale et professionnelle des citoyennes et citoyens laissés en marge du développement économique et social, en visant la pleine reconnaissance de l’accès à la formation et du droit au travail.
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