Indécision scolaire et professionnelle : et si le cerveau des ados nous éclairait un peu.
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Indécision scolaire et professionnelle : et si le cerveau des ados nous éclairait un peu

Temps de lecture : 3 minutes

Si vous travaillez dans le secteur de l’orientation depuis un certain temps, vous avez assurément entendu, lu ou constaté que la transformation du monde du travail a bouleversé les façons de penser l’orientation et modifier les pratiques. Cette transformation placerait notamment les personnes dans un environnement instable, changeant et complexe pour réaliser leurs choix. Dans ce contexte, et particulièrement à l’adolescence, on observerait un fort pourcentage d’indécision scolaire et professionnelle. Conclusions exagérées? Jetons un coup d’œil aux données. 

Des statistiques pour orienter nos pratiques? 

L’indécision scolaire et professionnelle (ISP) se définit comme l’incapacité d’une personne à exprimer un choix pour une activité différenciée lorsqu’elle est incitée à le faire (Forner, 2007). Au Québec, l’ISP toucherait plus de 50 % des jeunes à la fin des études secondaires et persisterait pour le tiers d’entre eux au collégial.  En 2015, une étude longitudinale concluait que 90 % des Canadiennes et Canadiens âgés de 15 à 25 ans avaient modifié leurs aspirations professionnelles!   

Étant c.o. au secondaire depuis plus de 20 ans, et sans vouloir tout mélanger (l’ISP et la cohérence dans les aspirations professionnelles n’étant pas des synonymes), vous comprendrez que cette dernière statistique, sans totalement me surprendre, m’a tout de même un peu ébranlé…  Mais prenons un pas de recul et regardons le paysage scolastique de notre formation. 

Et si on revisitait nos postulats théoriques 

Je dois d’abord me confesser : mes cours de Choix professionnels et développement de carrière étaient assez loin merci dans ma mémoire. Or, en me replongeant le nez dans ces contenus, et comme plusieurs auteurs le soulignent, je fus à même de constater que les approches et les théories des sciences de l’orientation suggèrent, sommairement, d’adopter une démarche rationnelle (le choix logique quoi!) dans la prise de décision.  

Or, les neurosciences (champ de recherche transdisciplinaire qui étudie le fonctionnement et le développement du cerveau) ont ébranlé plusieurs postures théoriques jusqu’à ce jour bien implantées, notamment dans des disciplines s’intéressant à la prise de décision comme l’économie, le marketing et la psychologie.  Les neurosciences ont entre autres remis en question la place des émotions dans une prise de décision dite « optimale » ainsi que le concept même de l’adolescence. En effet, les recherches nous révèlent que l’acquisition de la « maturité cérébrale » serait un processus continu pouvant s’étirer jusqu’à la mi-vingtaine! 

Redéfinir le concept de l’adolescence 

Ok. Je pratique l’orientation depuis le milieu des années 1990 auprès d’une clientèle que je définissais « adolescente », c’est-à-dire entre 12 à 17 ans.  Je constate que selon une posture neuroscientifique, j’étais solidement dans l’erreur! En neurosciences, on s’entend plutôt pour dire que la 2e douzaine d’années de vie représente l’adolescence.  L’enfance se situant entre la naissance et 12 ans et la période adulte « mature » débutant après la mi-vingtaine.   

À cet égard, et bien que cela ne soit pas le thème de ce billet, on peut se questionner sur les paramètres arbitraires qui ont guidé les politiques liées à l’âge du consentement aux soins médicaux (14 ans), de la consommation légale (18 ans) ou de la fréquentation scolaire obligatoire (16 ans)… Mais revenons à notre sujet. 

Mais qu’est-ce qui est si différent à l’adolescence? 

Le développement fulgurant de la technologie a permis d’observer que le cerveau des adolescents est particulier et que la prise de décision ne suit pas un processus strictement rationnel (c’est un constat général chez l’être humain, mais prédominant à l’adolescence). Le cerveau des adolescents est particulier puisqu’entre autres ses fonctions exécutives élaborées, logées principalement dans la partie avant du cerveau (cortex préfrontal), et plus particulièrement le contrôle inhibiteur, sont encore en développement. Cette situation les amènerait à avoir de la difficulté à contrôler (inhiber) leurs intuitions, leurs préjugés et leurs idées spontanées dans leurs prises de décision. Les fonctions exécutives élaborées interviennent essentiellement dans les situations qui demandent de la réflexion et de la créativité, lorsqu’il est nécessaire de s’adapter à des situations nouvelles non routinières.  Est-ce que vous voyez des liens avec le processus décisionnel en orientation? 

Quels sont les impacts sur le comportement et la décision? 

Ce contexte de développement inachevé amène généralement les adolescents à être plus sensibles aux récompenses et à l’influence de leurs pairs et à sous-évaluer les conséquences de leurs décisions (une forme de myopie du futur) particulièrement dans des expériences chargées émotivement. Cette situation s’expliquerait entre autres par des courbes développementales différentes entre les régions du cerveau. 

Par ailleurs, les connaissances neuroscientifiques ont mis en lumière que l’adolescence est la période par excellence des opportunités, de l’exploration et de la recherche de la nouveauté.  Au fil des millénaires, ces aspects ont permis à notre espèce de survivre, de développer sa flexibilité comportementale et de s’adapter à son environnement.  Cette adaptation n’est-elle pas tout indiquée dans notre contexte d’intervention? 

Et le lien avec l’orientation? 

À la lumière de ces connaissances sur le développement du cerveau à l’adolescence (12 à 24 ans), il devient alors pertinent de s’appuyer sur ces dernières afin de mieux comprendre la prise de décision scolaire et professionnelle et, par la même occasion, l’état d’indécision dans lequel une majorité de jeunes se retrouve avant 25 ans. Il est également légitime de se demander s’il existe, à l’adolescence, une relation entre les fonctions exécutives en développement et l’état décisionnel relatif aux choix scolaires et professionnels? 

Tenter d’explorer ces relations, c’est l’aventure dans laquelle je me suis lancé, il y a maintenant cinq ans, dans mes études doctorales.  Le cerveau me fascine tout autant que la prise de décision. Au cours des prochains billets, je vous inviterai à explorer ce dialogue potentiel, mais combien fascinant, entre l’indécision scolaire et professionnelle, le développement du cerveau et le processus décisionnel à l’adolescence. 

 


Article publié pour la première fois le 7 janvier 2019.

Jean-François Perron est conseiller d’orientation au secondaire à la commission scolaire des Découvreurs. Depuis 25 ans dans le milieu de l’éducation, il cumule également des expériences comme enseignant, directeur des sports, directeur des cours d’été, coordonnateur de l’approche orientante et superviseur du programme hockey dans son milieu. Passionné du processus décisionnel à l’adolescence, il poursuit présentement des études doctorales en sciences de l’orientation et s’intéresse particulièrement à l’impact du développement du cerveau sur l’indécision scolaire et professionnelle.
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Jean-François Perron est conseiller d’orientation au secondaire à la commission scolaire des Découvreurs. Depuis 25 ans dans le milieu de l’éducation, il cumule également des expériences comme enseignant, directeur des sports, directeur des cours d’été, coordonnateur de l’approche orientante et superviseur du programme hockey dans son milieu. Passionné du processus décisionnel à l’adolescence, il poursuit présentement des études doctorales en sciences de l’orientation et s’intéresse particulièrement à l’impact du développement du cerveau sur l’indécision scolaire et professionnelle.