Le choix de carrière et le phénomène « woke »
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Le choix de carrière et le phénomène « woke »

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Chaque génération semble s’engager dans un mouvement social au nom du progrès.
Actuellement, la nouvelle génération se compose principalement de jeunes adultes qui aspirent avec ténacité à renverser la dégradation climatique, à réduire les écarts entre les classes économiques, à s’assurer du respect des minorités, à enrayer le sexisme et même à défendre des activistes opprimés dans certains pays. Cet état d’esprit, globalement nommé « woke », issu de « wake », signifiant réveil, gagne en popularité à un point tel qu’il se transpose dans le choix de carrière. Voici quelques pistes pour comprendre les intentions vocationnelles derrière ce phénomène et pour adapter notre approche auprès de ceux qui en ressentent l’appel.

Ces générations de jeunes adultes ont grandi avec des références très médiatisées ayant contribué aux progrès sociétaux : manifestations, organismes d’aide sans frontières, dénonciations, innovations environnementales et des personnalités influentes parrainant des causes. Cette ferveur du moment servirait de carburant pour les partis politiques durant leurs campagnes électorales. Surtout avec l’influence des réseaux sociaux, ces modèles grandement estimés auraient galvanisé l’inspiration des gens en quête de sens. Combinés, plusieurs facteurs motivationnels s’amplifient les uns par rapport aux autres :

  • le sentiment d’utilité et d’importance;
  • la frustration devant la lourdeur administrative et politique;
  • la quête de crédibilité;
  • l’appétit d’apporter de la différence;
  • le besoin d’acceptation et d’appartenance au sein d’un groupe portant une mission;
  • la recherche de gratitude auprès des gens concernés.

Bref, ce cocktail motivationnel expliquerait en partie cet engouement à s’engager fanatiquement dans plusieurs causes dont celles mentionnées précédemment. Nous pouvons même observer l’intérêt croissant de cette génération de jeunes adultes pour des professions comme avocat en droits et libertés de la personne, influenceur Web, enquêteur, environnementaliste, victimologue, lanceur d’alertes et bien d’autres.

Pour plusieurs d’entre eux, une stratégie commune semble se dessiner, consistant à repérer des victimes, les sauver en débusquant le mal, pour ensuite le vaincre, un peu comme dans les films ou les séries de superhéros. Suivant ce principe, une ligne se trace donc entre les bons et les méchants. Malgré leur bonne volonté, une perception dichotomique du bien et du mal générerait un climat de clivage : « tu es avec moi ou tu es contre moi ». En d’autres mots, tout ce qui divergerait de leur vision serait automatiquement perçu comme une menace pouvant engendrer une riposte exacerbant ainsi la division sociale. Plutôt que d’inclure différents concepts à la fois, ils renforceraient leurs raisonnements en filtrant seulement ce qu’ils souhaitent entendre, accentuant ainsi des dogmes au nom du bien. Pourquoi se remettraient-ils en question, puisqu’ils seraient convaincus de leur bonne volonté? La fin justifierait alors les moyens, d’où la radicalisation des actions entreprises à travers les causes portées, comme s’ils s’autorisaient à juger du sort mérité aux idées divergentes des leurs (censure, lynchage ou vandalisme par exemple). Ils risquent alors de devenir eux-mêmes une menace aux yeux des autres et ainsi de nuire à leur propre carrière. Dans ce type de situation, l’approche psychodéveloppementale en orientation s’avère essentielle pour désamorcer des dogmes. Il ne s’agit certainement pas de moraliser ni d’influencer leur position sur un sujet, mais plutôt de les aider à contextualiser la situation en ajoutant des axes de pensée supplémentaires.

Le choix de carrière et le phénomène « woke »

Durant les rencontres, plusieurs pistes peuvent nous indiquer la présence d’un dogme, surtout lorsque les aspirations vocationnelles seraient issues de conceptions binaires. En voici quelques- unes :

  • utilisation fréquente de superlatifs et d’impératifs dans leur sémantique;
  • décontextualisation et fixation sur des idées ou même des mots;
  • allégeance inconditionnelles à des groupes ou à des partis politiques;
  • résistance et sensibilité devant des notions présentées en classe, comme en histoire, en philosophie, en sociologie, etc.;
  • adhésion tenace à des principes sans en questionner l’éthique;
  • associations fortes, fixation sur des symboles ou idolâtrie;
  • conception d’une justice basée sur le mérite (punition et châtiment);
  • résolutions simples pour répondre aux problématiques complexes;
  • généralisation émotionnelle : « parce que je le vis, alors tout le monde le vivrait de la même façon »;
  • conclusions hâtives, comme s’il n’y avait pas d’autres hypothèses;
  • évocation de valeurs comme la pureté, l’honneur ou la conformité;
  • aspiration à des positions de pouvoir avec des références autoritaires.

En consultation, ces signaux offrent des occasions de refléter les concepts et les stratégies de l’« aspirant défenseur » en abordant les risques liés à la stigmatisation. Une confrontation de ce genre pourrait ébranler le lien de confiance durant ce type d’intervention, d’où l’importance de recourir aux habiletés relationnelles.

Une fois le stigma reconnu, plusieurs théories comme le développement moral de Kohlberg, les étapes du développement de l’égo de Loevinger et la théorie de l’autopoïèse de Maturana et Varela bonifient les pratiques en orientation. L’objectif consisterait à développer l’indépendance intellectuelle du client en l’aidant à se doter d’un regard critique sur lui-même. À titre d’exemple, mettre à l’épreuve leurs propres concepts en évoquant des dilemmes éthiques ou des mises en situation pourrait déclencher un questionnement constructif :

  • comparer les mouvements politiques de plusieurs pays;
  • exposer un concept d’impartialité avec le racisme à géométrie variable;
  • interroger leur point de vue en leur demandant de le valider en détail;
  • délimiter les libertés individuelles vs les règles dans une société;
  • concilier épanouissement et identité sexuelle vs culture religieuse;
  • suggérer d’engager des discussions avec un enseignant de philosophie ou de politique sur les sujets préoccupants;
  • questionner les sources d’information des faits diffusés sur les réseaux sociaux;
  • souligner les correspondances entre plusieurs grands révolutionnaires et leur tyrannie;
  • assister à des débats ou lire des textes d’opinions opposées sur le sujet concerné.

Ici, il ne s’agit que d’infimes possibilités favorisant le développement, surtout auprès des gens ayant des positions dichotomiques. En contextualisant davantage leurs propres réflexions et celles des autres, ces personnes préalablement catégoriques pourront gagner en intégrité personnelle et en développement social. Comme l’intégration du savoir-être, ces acquisitions faciliteront leurs capacités à établir un terrain fertile aux échanges tout en les aidant à mieux progresser dans leur carrière plutôt que de générer des conflits.

Ces approches s’étendent aussi sur plusieurs sphères. Ce type de développement favoriserait considérablement l’apprentissage.

En étant moins résistants, les étudiants intégreraient davantage de concepts nuancés comme ceux abordés en sciences humaines (modèle de la dynamique motivationnelle de Rolland Viau). Aussi, les théories mentionnées précédemment permettent d’expliquer plusieurs mécanismes qui alimenteraient les conspirationnistes. Ils s’attribueraient généralement un rôle d’informateur et de protecteur. D’une part, ils ne ressentent pas le besoin de se remettre en question puisqu’en fonction de leurs rôles, ils portent de bonnes intentions. Alors, ils se positionneraient dans le « camp des bons ». Cela expliquerait leur résistance par rapport à des idées différentes, comme si ces dernières pouvaient porter de mauvaises intentions parce qu’elles seraient catégorisées dans le « camp des méchants ». C’est alors que plusieurs scénarios sont imaginés comme s’ils en étaient les victimes. Toujours en se référant aux modèles développementaux, les styles de gestion d’une organisation seraient grandement affectés. Une gestion « mature » accueillera une diversité de points de vue, sera réceptive aux innovations, motivera ses employés en leur offrant de l’autonomie et consultera ses professionnels pour optimiser les décisions. Une multitude de comparaisons s’avèrent possibles pour comprendre d’autres dynamiques sociales. En somme, aidons cette génération de jeunes adultes à construire un monde meilleur.

Remerciements à Marie-Claude Morin

Jean-François Jarry est conseiller d’orientation et conseiller à l’approche orientante au collégial. Il aborde ses étudiants avec une perspective psycho-développementale à partir de laquelle il a adapté une multitude d’outils et de réflexions qu’il n’hésite pas à partager. Il aime échanger sur plusieurs sujets dont les mécanismes liés à la prise de décision, l’acharnement vocationnel, l’orientation en contexte interculturel, la pédagogie orientante, la maturité vocationnelle ainsi que les parallèles avec le jeu vidéo et le développement des compétences. Il encourage les professionnels de l’orientation à continuer à varier leur pratique pour la partager à leur tour.
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Jean-François Jarry est conseiller d’orientation et conseiller à l’approche orientante au collégial. Il aborde ses étudiants avec une perspective psycho-développementale à partir de laquelle il a adapté une multitude d’outils et de réflexions qu’il n’hésite pas à partager. Il aime échanger sur plusieurs sujets dont les mécanismes liés à la prise de décision, l’acharnement vocationnel, l’orientation en contexte interculturel, la pédagogie orientante, la maturité vocationnelle ainsi que les parallèles avec le jeu vidéo et le développement des compétences. Il encourage les professionnels de l’orientation à continuer à varier leur pratique pour la partager à leur tour.
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